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Séparation des pouvoirs et autorités administratives indépendantes

      D’après le rapport public de 2001 du Conseil d’Etat, les autorités administratives indépendantes (AAI) sont des « organismes administratifs qui agissent au nom de l’Etat et disposent d’un réel pouvoir, sans pour autant relever de l’autorité du Gouvernement ». Mais selon Laurent Keller, les AAI seraient « indépendantes mais pas trop ». L’on peut ainsi se demander légitimement l’intérêt d’une telle dénomination. C’est une affirmation d’autant plus troublante que les AAI ont été précisément créées pour être « hors-hiérarchie ». Elles n’ont pas de délimitation organique, car elles ne sont pas rattachées à un ministre ou à un ministère déterminé. Pour autant, les AAI ont une délimitation fonctionnelle, c’est-à-dire qu’elles appartiennent à l’administration. 


                Les AAI constituent un bout important des services de l’administration de l’Etat et in fine de l'administration centrale. Historiquement, la qualification d’autorités administratives indépendantes apparaît pour la première fois en 1978, date où le législateur a créé la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL). En 1984, le terme d’AAI a été consacré par le Conseil constitutionnel. En réalité, les AAI sont déjà apparues en 1942 sous le Gouvernement de Vichy sous Pierre Laval. Leur institution reste résiduelle jusque dans les années 1950, s’est multipliée dans les années 1980 suivant un processus désordonné, au point d’apparaître comme un « objet juridique non identifié » et est devenue une intoxication dans les années 1990. Dans les débuts des années 2000, ont eu lieu des tentatives de mise à l’ordre, de regroupement et de réduction des AAI. En 2017, une loi a codifié le statut général des AAI. Aujourd’hui, 40 AAI ont été recensées. Initialement, le législateur souhaitait cantonner le développement des AAI à des domaines d’action limités, par exemple dans la régulation des marchés de l’économie. Puis, les AAI ont élargi les domaines à tout secteur, y compris les secteurs régaliens. Cet élargissement a pu être perçu par certains comme une manière détournée pour l’Etat d’agir. 

                La création des AAI résulte d’un mouvement qui procède d’une expression de méfiance à l’égard de l’Etat traditionnel et de facto à l'exécutif. Les administrations sont organisées pyramidalement avec à leur tête des politiques. Pour les citoyens, l’appareil d’Etat pouvait être perçu être aux mains d’un Etat partisan, avec à sa tête des élus qui se favorisaient entre-eux. De plus, lorsque l’Etat réglemente et contrôle des domaines d’activités, il peut se voir reprocher d’atteindre les libertés publiques. C’est dans cette perspective que la solution conciliatrice des AAI a été choisie. Le but d’une AAI est de résoudre les problèmes de dysfonctionnement de l’administration. Pour échapper à l’accusation de parti pris et afin de garantir une séparation des pouvoirs, l’Etat a cherché à externaliser ces problèmes, de les sortir de l’orbite de l'administration ordinaire et à les mettre entre les mains d’une instance détachée. L’Etat se met cependant en cause lui-même, en avouant qu’il ne peut pas gérer de manière satisfaisante un tel secteur. L’existence des AAI se révèle donc être un démembrement du pouvoir exécutif, garantissant l’indépendance. Partant, l’affirmation de Me Keller paraît osée. Doctrinalement, elle interroge sur une éventuelle confusion des pouvoirs et remet en cause le quête d’impartialité de l’administration. 

                Les AAI sont des institutions de l’Etat, chargées de missions spécifiques de régulation de secteurs variés, tels que le domaine de la défense ou de la justice. Par exemple, l’Autorité des marchés financiers (AMF) est chargée de la régulation des marchés économiques. Les AAI ne forment pas une catégorie juridique homogène. Elles ont une délimitation. En effet, l’ensemble des administrations dépendent de l'État mais les AAI sont censées ne pas être sous son emprise. Les AAI font exception à l’article 20 de la Constitution selon lequel « [Le Gouvernement] dispose de l’administration et de la force armée». Elles sont autonomes dans leur gestion, dégagent des règles de conduite à divers secteurs d’activités. C’est pourquoi les AAI détiennent des pouvoirs réglementaires, de prise de décision individuelle, d’investigation, de recommandation, d’avis et de sanction. Les AAI tentent de répondre aux besoins des peuples : « offrir à l’opinion une garantie renforcée d’impartialité des interventions de l’Etat ; permettre une participation élargie de personnes d’origines et de compétences diverses, et notamment de professionnels, à la régulation d’un domaine d’activité ou au traitement d’un problème sensible ; assurer l’efficacité de l’intervention de l’Etat en termes de rapidité, d’adaptation à l’évolution des besoins et des marchés et de continuité dans l’action».

                S’agissant de la théorie de la séparation des pouvoirs, elle a été développée par Montesquieu (1689-1755) qui « vise à séparer les différentes fonctions de l’Etat, afin de limiter l’arbitraire et d’empêcher les abus ». La séparation des pouvoirs permet la bonne organisation et gestion de l’Etat. Au sein des différents régimes politiques, trois fonctions principales doivent être distinguées. La fonction d’édiction des règles des règles générales constitue la fonction législative ; la fonction de règlement des litiges constituant la fonction juridictionnelle ; et la fonction d’exécution des règles générales constituant la fonction exécutive. Ainsi, la création des AAI est une traduction d’une autolimitation que s’impose l’appareil d’Etat pour échapper à l’accusation d’Etat partisan. L’Etat cherche à garantir le principe d’impartialité dans l’Administration. Cependant, le cumul de prérogatives des AAI apparaît problématique. Elles peuvent les cumuler toutes à la fois. 


                La création des AAI résidait dans la volonté des pouvoirs publics de placer certains secteurs d’activités à l’abri d’ingérences politiques. A certains égards, les AAI constituent un obstacle au principe de séparation des pouvoirs. Par les pouvoirs réglementaires et de sanctions qu’elles exercent, elles violent dans une certaine mesure la séparation des pouvoirs. En revanche, les pouvoirs d’injonction, de recommandation, de consultation et d'avis ne portent pas atteinte à la séparation des pouvoirs car ces pouvoirs limitent leur influence dans des secteurs spécifiques. Ainsi, l'indépendance des AAI apparaît relative, indépendance qui n’empêche pas les AAI de faire partie de l’appareil administratif et d’être quand même soumis au contrôle de légalité.


                La création de ces instances permet de contrôler, entre autres, les activités de l’Etat. Surtout, les AAI corrigent les dysfonctionnements de l’administration. Organiquement, les AAI sont indépendantes. Elles font certes partie de l’Administration centrale mais elles demeurent extérieures à l’appareil d’Etat. Dans la pratique, les AAI sont toutefois dépendantes matériellement. Fonctionnellement, les AAI ne sont pas subordonnées au pouvoir public mais elles agissent en leur nom. Elles sont indépendantes mais présentent des limites. Si les AAI sont efficaces pour le bon fonctionnement de l’administration, celles-ci interrogent juridiquement quant à leur respect du principe de séparation des pouvoirs. Mise en doute sur ce point, les AAI font resurgir par ricochet l’accusation ancienne adressée à l’exécutif d’être un Etat partisan. La question de l’atteinte des AAI au principe de séparation des pouvoirs, garanti par la Constitution, mérite d’être posée. 


                Aujourd’hui encore, des débats ont lieu pour savoir si les AAI porteraient atteinte à la séparation des pouvoirs (§1). Au regard de la Constitution, le juge a répondu par la négative. Toutefois, le dispositif juridique dont disposent les AAI semble loin d’être suffisant. Il est fréquemment remis en cause par les parlementaires. Ainsi, l’indépendance des AAI ne semble pas encore totale pour éviter l’atteinte à la séparation des pouvoirs (§2).    



§1. L’interrogation sur l’éventuelle atteinte des AAI aux principes de séparation des pouvoirs 


Si les AAI empiètent dans une certaine mesure sur le pouvoir judiciaire et donc pose la question d’une atteinte à la séparation des pouvoirs (A), le législateur a veillé à ce que l’activité des AAI respecte la Constitution en les reconnaissant juridiquement (B). 


A. L’empiètement relatif du pouvoir judiciaire par les AAI


                Bien qu’exceptionnel et limité selon le respect des lois et des décrets, les AAI ont un pouvoir réglementaire. Par exemple, la CNIL peut émettre des réglementations sur les fichiers d’association. Mais les AAI ont également un pouvoir de sanction. Ainsi, les AAI créent des règles qui régissent certains secteurs d’activités, règles auxquelles les acteurs des secteurs doivent s’y conformer, sous peine de sanction. En utilisant un pouvoir répressif auprès des acteurs, elles se substituent parfois au rôle du juge administratif ou du juge pénal. Le Conseil constitutionnel estime « qu’aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle ne fait obstacle à ce que les AAI puissent exercer un pouvoir de sanction dès lors que la sanction est exclusive de toute privation de liberté». Ces sanctions ont des effets de coercition. Quant au juge judiciaire, il est de facto exclu car d’après la Constitution, il est le garant de la liberté individuelle. Or, le pouvoir de sanction est confié traditionnellement au juge. Ceci doit être analysé comme un empiètement du pouvoir judiciaire par les AAI. 

                S’agissant de la nature des sanctions, elles peuvent être à caractère professionnel en restreignant les activités des opérateurs, ou pécuniaires prenant la forme d’amendes. Le Conseil constitutionnel a admis la possibilité des AAI de prononcer ce type d’amendes. Néanmoins, ce pouvoir de sanction reste encadré. Ce pouvoir répressif n’est accordé aux AAI que « dans la limite nécessaire à l’accomplissement de sa mission » et il « appartient au législateur d’assortir l’exercice de ces pouvoirs de sanction des mesures destinées à sauvegarder les droits et libertés constitutionnellement garantis ». Par ailleurs, les juridictions françaises admettent que les AAI doivent respecter la disposition de la CESDH relative au droit à un procès équitable. 


                Cependant, cet empiètement sur le pouvoir judiciaire doit être relativisé. Certes, certaines AAI détiennent tout un panel de sanctions, ce qui leur confère un magistère moral sur le fonctionnement de l’administration. Les AAI exercent un véritable magistère d’influence et peuvent se voir reconnaître cette qualification en dehors de tout pouvoir décisionnel. Ces instances ont les moyens de réguler le secteur qu’elles contrôlent et d'inciter les acteurs à respecter les dispositions réglementaires. Les AAI possèdent des compétences juridictionnelles. L’encadrement de ces sanctions est strict, la jurisprudence du Conseil constitutionnel rappelle que l’exercice du pouvoir de sanction doit être assorti par la loi de mesures destinées à sauvegarder des libertés et des droits constitutionnellement proclamés. Par ailleurs, les pouvoirs des AAI en matière de sanction ne sont pas définitifs. En d’autres termes, la sanction prononcée par les AAI devant une juridiction administrative ne peut prendre effet que si aucun requérant ne forme de recours devant les tribunaux. 

        Comme vu supra, le pouvoir répressif exclut le juge judiciaire. Ceci signifie que tout le droit issu de l’ordre judiciaire, à l’exception de la matière pénale, n’est pas concerné par les sanctions infligées par les AAI. Les sanctions prononcées par les AAI sont soumises au principe des sanctions pénales. Quant au juge administratif, il rejoint la position du juge constitutionnel mais il précise que les mesures de sanction doivent être précédées d’une mise en demeure préalable. Le juge administratif encadre les prérogatives de ces instances, sous l’influence forte du droit de la CESDH. En clair, en matière administrative, la sanction constitue pour les AAI une voie de dernier recours. C’est une solution pragmatique, dissuadant les autorités de prendre des sanctions à tout va. Les AAI restent ainsi sous le contrôle du juge administratif. 


                Enfin, des prescriptions des AAI relèvent parfois même de la soft law et peuvent bien avoir une réalité normative. Toutefois, la valeur juridique de la soft law reste toujours contestable. La France, pays de tradition romano-germanique, n’est pas un État admettant aisément cette pratique. De plus, en droit interne, la commission du droit international a démontré que le réveil de la soft law n’a eu lieu que récemment, alors qu’elle prenait déjà une place toujours plus prépondérante depuis 30 ans.  


                L’empiètement relatif du pouvoir judiciaire a été vu. A présent, il s’agira d’étudier la reconnaissance juridique des AAI. Cela devra démontrer que les AAI n’atteignent pas le principe de séparation des pouvoirs.  



B. La reconnaissance juridique des AAI en conformité avec le principe de séparation des pouvoirs


        L’encadrement juridique des AAI ne cesse d’évoluer. Récemment, le législateur a réactualisé le statut juridique des AAI et en valide donc leur existence. La création des AAI est soumise à un cadre juridique strict. Selon une loi de 2017 : « Toute AAI ou autorité publique indépendante est instituée par la loi. La loi fixe les règles relatives à la composition et aux attributions ainsi que les principes fondamentaux relatifs à l’organisation et au fonctionnement des AAI et des autorités publiques indépendantes ». Le droit de la CESDH a aussi fortement influencé la jurisprudence du Conseil d’Etat. Les AAI sont tenues au respect des principes posés par l’article 6§1, en l’espèce le principe d’impartialité. L’arrêt Didier du Conseil d’Etat en fait expressément mention. C’est une décision fondatrice qui sera suivie par de nombreuses autres.  

    

        Disposant d’un pouvoir réglementaire, les AAI ont un pouvoir limité et confié par habilitation législative. La question juridique qui se pose est celle de savoir si l’attribution de compétences réglementaires aux AAI est conforme à la Constitution. La réponse est positive. En 1986, le législateur a obtenu l’aval du Conseil constitutionnel. Selon lui, l’article 21 de la Constitution ne fait pas obstacle à ce que le législateur habilite d’autres autorités de l’Etat, que le premier ministre à détenir une telle compétence. Par exemple, le Conseil constitutionnel a reconnu l’étendue du pouvoir réglementaire attribué au CSA. Deux décisions ont précisé les limites du pouvoir réglementaire en indiquant que les AAI ont un pouvoir réglementaire d’application de la loi, non autonome. 


        D’un point de vue constitutionnel, l’intégration d’une AAI relative au défenseur des droits et reconnue dans la Constitution a suscité débat. Dans une réforme constitutionnelle en 2008, puis complétée par une loi organique en 2011, la Constitution a intégré pour la première fois une AAI dans son corpus. La constitution intègre le défenseur des droits. Les juristes se demandaient s’il s’agissait d’une nouvelle autorité « constitutionnelle » indépendante et in fine, si le statut de AAI était maintenu. Là encore, la création d’une AAI reconnue constitutionnellement pouvait interroger quant au respect de la théorie traditionnelle de la séparation des pouvoirs. Ceci aurait pu s’analyser comme l’avènement d’un quatrième pouvoir. A cette interrogation, le Conseil constitutionnel en 2011 répond que le principe est préservé. Le Conseil constitutionnel précise qu’en « érigeant le défenseur en « autorité constitutionnelle indépendante », l’article 2 de la loi organique du 29 mars 2011 (...) n’a pas pour effet de faire figurer le défenseur des droits au nombre des pouvoirs publics constitutionnels ». Le conseil constitutionnel en conclut qu’aucun quatrième pouvoir n’émerge suite à cette réforme constitutionnelle de 2008, et refuse pour l’instant l’éventuelle constitutionnalisation des AAI. 


        Les AAI ont suscité des interrogations quant à leur éventuelle atteinte aux principes de séparation des pouvoirs. Il a été admis par le juge qu’elles ne le font pas, en dotant des AAI des moyens pour éviter cela. Cependant, aujourd’hui encore, l’indépendance des AAI ne fait pas l'unanimité. Et pour cause, de nombreux dysfonctionnements ont encore pu être identifiés, car les AAI ne sont pas dotés d’un dispositif juridique suffisant pour garantir leur indépendance à l’égard du pouvoir exécutif. 



§2. Un dispositif juridique insuffisant pour garantir l’indépendance totale des AAI 


Les limites des AAI sont multiples. Certes, elles ont un mode de fonctionnement qui leur assure une certaine autonomie (A). En cela, elles ne devraient pas porter atteinte à la séparation des pouvoirs. En réalité, il apparaît que les AAI sont dépendantes aux injonctions du personnel politique (B). 


A. L’autonomie relative de principe du fonctionnement des AAI


        Faut-il rappeler le but même de la création des AAI pour mesurer l’importance de leur indépendance. Les pouvoirs publics ont eu la volonté de créer des autorités indépendantes par rapport au pouvoir exécutif, capables d’aiguiller l’Etat. Par nature, les AAI ont vocation à être autonomes. En cas de dommages causés par les AAI, c’est parfois même la responsabilité administrative de l’Etat qui est engagée, non celle de l’autorité, ce qui les dissuade de ne pas agir. Une QPC a cependant condamné le CSA pour une affaire d’instruction de dossier ayant abouti à des sanctions. Le juge constitutionnel retient l’absence de séparation entre fonctions de poursuite et fonction de jugement, contraire à l’article 6§1 de la CESDH. Les AAI sont indépendantes mais tenues de respecter les principes fondamentaux de la Constitution. 

        Ce besoin des AAI résulte d’une demande d’un interventionnisme étatique dans les différents secteurs de la société. Ces instances peuvent être saisies par un particulier (CNIL), par des parlementaires (Médiateur de la République) ou après une procédure juridictionnelle préalable (CADA - Commission d’accès aux documents administratifs). La création des AAI permet de répondre aux demandes des citoyens et de fluidifier les rapports entre l'Administration et les administrés. Pour cela, les AAI ont le droit d’ester en justice, de contracter, de disposer d’un budget propre, de déroger à l’obligation d’emploi de fonctionnaires et de recourir à du personnel. Par exemple, certaines AAI essaient d’améliorer les relations entre forces de l’ordre et citoyen. Une AAI détachée de l’exécutif permet de veiller de manière neutre à la protection des libertés publiques. Aujourd’hui encore, des AAI sont créés suite à la multiplication d’affaires, tel fut par exemple le cas suite à l’affaire Cahuzac en 2013. Dans l’objectif de rendre l’action administrative plus performante, des députés ont indiqué en 2010 dans leur rapport qu’il convient de garantir l’indépendance des AAI en les mettant « sous la protection du Parlement » pour qu'elles deviennent « un outil essentiel de perfectionnement de notre République ». 


        Pour éviter le reproche de conflits d'intérêts, les membres des AAI doivent être indépendants pour se mettre à l’abri des pressions du pouvoir politique. Dépourvue de la personnalité morale mais non distincte de l’Etat, le Gouvernement ne doit pas avoir de lien organique avec les AAI. Le cas des autorités publiques indépendantes est plus simple car elles en sont dotées d’une. Ceci explique pourquoi aucun pouvoir hiérarchique ou de tutelle n’a été institué : « L’indépendance de l’autorité implique d’abord l’absence de toute tutelle ou pouvoir hiérarchique à son égard de la part du pouvoir exécutif. Une AAI ne reçoit ni d’ordre, ni instruction du Gouvernement». Cette indépendance offre une crédibilité et une légitimité aux AAI qui évoluent dans des domaines sensibles ou soumis à des changements économiques et juridiques importants. L’indépendance se fait à l’égard du pouvoir politique. Aucun membre du Gouvernement ne peut adresser des ordres ou bloquer les décisions des AAI. La tâche de régulation de certains secteurs sensibles n’est pas compatible avec une gestion publique des dossiers. L’indépendance se fait également à travers des acteurs ou des entreprises du secteur concerné, lesquels pourraient avoir la tentation de faire du lobbying. Cela procure aux AAI une capacité d’arbitrage et de régulation. 


        L’indépendance, pour être réelle, doit être financière et humaine. Pour fonctionner en autonomie, les AAI doivent disposer de moyens financiers et humains. Les membres des AAI sont indépendants grâce à leurs conditions d’exercice de leur mandat. Leur mandat est non renouvelable pour une durée soit de 3 ans, 6 ans ou 9 ans. La composition de l’autorité est généralement collégiale, sous l’autorité d’un président élu en leur sein ou nommé. La logique d’indépendance devrait pourtant entraîner la collégialité de l’instance mais tel n’est pas le cas car certains AAI reposent sur une personnalité unique comme le Défenseur des enfants. Les membres sont inamovibles, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas révocables par une décision émanant d’une autorité administrative comme le Premier ministre. Le Conseil d’Etat a même retenu cette exigence d’irrévocabilité en cas d’absence de texte. A cela s’ajoute une rémunération importante, mettant à l’abri les fonctionnaires de la corruption. Ceci doit s’analyser comme un accroissement de leur liberté d’action. Les AAI disposent d’une gestion financière et administrative autonome. Les députés Dosière et Vanneste proposent de renforcer la transparence sur les moyens alloués aux AAI, concernant le chiffrage des effectifs et les crédits consommés qui leur paraissent sous-évalués. Cette problématique était déjà ancienne, puisque dans son rapport de 2001, le Conseil d’Etat appelait à un contrôle approfondi du Parlement sur les autorités, que les offices parlementaires d’évaluation de la législation et des politiques publiques évaluent l’activité des AAI.  


                Il a été vu que les AAI sont en principe autonomes dans leur fonctionnement mais elles sont imparfaites et doivent faire l’objet d’améliorations. Cependant, ces principes connaissent de nombreuses limites. Il s’agira à présent de démontrer que les AAI sont dépendantes au pouvoir exécutif. Cela devra démontrer que les AAI portent, dans une certaine mesure, atteinte à la séparation des pouvoirs. 



B. La dépendance des AAI aux injonctions du pouvoir exécutif 


        Si les AAI sont indépendantes organiquement, elles restent représentatives de l’Etat en agissant en son nom. Elles ne doivent rendre compte de leur mission qu’au Gouvernement et au Parlement. L’Etat est au cœur de ces institutions. Les AAI engagent leur responsabilité, ce qui peut remettre en cause les principes et politiques étatiques. Or, en vertu de la théorie de la séparation des pouvoirs, l’Etat ne peut pas détenir ces trois pouvoirs. Ceci doit être analysé comme une forme d’abus de pouvoirs déguisés par l’exécutif. Les AAI ne disposent pas d’un pouvoir réglementaire autonome mais à un seul pouvoir d’exécution des lois. Qui plus est, celui-ci est utilisé dans un but de régulation. En réalité, les décisions prises sont administratives. Cela signifie que derrière les AAI, les autorités gouvernementales impulsent leur politique de manière déguisée pour échapper à l’accusation d’être un Etat partisan. Le pouvoir exécutif garde un œil sur la gestion des AAI, en atteste l’annexe générale au projet de loi de finances annuel, présenté par le Gouvernement, qui émet un rapport sur les moyens matériels et humains. Encore faut-il que le rendu des comptes soit effectif. Or bien souvent, le rapport d’activité reste général et sans perspectives. Via les AAI, l’Etat sanctionne pour éviter l’accusation de s’immiscer dans le pouvoir judiciaire. Les AAI formulent des avis et des recommandations qui peuvent être commandés par les autorités gouvernementales. C’est une manière de mieux faire passer des décisions impopulaires auprès de l’opinion en se dédouanant de toute responsabilité politique. Les politiques se fondent en plus sur la nature même des AAI, perçues comme une sorte de troisième chambre et dotée d’une légitimité démocratique car ses membres sont issus de la société civile. 


        Les AAI présentent également une limite financière. Elles sont dépendantes du budget général, donc de ce que le Gouvernement est prêt à allouer. Ces instances perçoivent une dotation annuelle, inscrite au budget du Premier ministre (CADA, CSA) ou d’un ministère. Par exemple, l’ancienne ministre de la culture Aurélie Filippetti voulait réduire les crédits de la Hadopi, l’AAI chargée de la police du net. Les restrictions budgétaires peuvent réduire l’influence des AAI. Ces restrictions budgétaires peuvent même être issues d’une volonté politique de mettre fin à un contre-pouvoir. La réforme constitutionnelle de 2008 a été perçue par l’opposition comme le souhait du Président Nicolas Sarkozy d’éliminer les contre-pouvoirs. L’institution du défenseur des droits a remplacé cinq AAI : le médiateur de la République, le défenseur des enfants, la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) et la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde). Les AAI sont donc dépendantes financièrement en étant soumis aux politiques publiques.  


        De plus, les AAI présentent une limite quant à la composition de leurs membres. Le rapport du sénateur Gélard dispose que « le mode de désignation de nombreux membres de ces autorités, qui fait appel aux autorités publiques (Président de la République, président des assemblées, Premier ministre, ministres) et aux plus hautes autorités juridictionnelles, contribue également à leur donner un caractère administratif ». En effet, certaines AAI ont en leur sein un fonctionnaire de l’Etat appelé commissaire du Gouvernement. A travers ce représentant, le Gouvernement fait valoir sa position administrative, ce qui peut être perçu comme une immixtion déguisée du pouvoir exécutif. Le commissaire du Gouvernement représente le Gouvernement devant l’AMF et la CNIL en autres. Les AAI sont donc dépendantes matériellement en ayant des représentants de l’Etat en leur sein. En sus du commissaire du Gouvernement, d’autres autorités sont nommées par le Président de la République. L’article 13 de la Constitution permet la nomination à certains emplois en l’absence d’opposition du Parlement. Selon une loi organique de 2010, cela joue pour les membres de 15 AAI. 


        Enfin, les AAI présentent une limite quant au recrutement de ses membres. Les AAI ont en principe des fonctionnaires sous leur responsabilité, sélectionnés pour leurs aptitudes et recrutés pour leur neutralité. Les fonctionnaires obéissent au Statut général des fonctionnaires. En réalité, ces agents administratifs sont mis à disposition par d’autres ministères. En d’autres termes, ces agents ne sont pas directement recrutés par les AAI. La mainmise de l’appareil d’Etat apparaît d’autant plus lorsque l’Etat ramène ces agents administratifs dans leurs administrations d’origine, ce qui a pour effet de priver les AAI de personne. Les AAI sont donc dépendantes matériellement en ressources humaines. 

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