La science du droit et la science politique pris en son sens large ne sont pas dénuées de lien. On ne peut en effet ignorer les interférences entre ces deux disciplines. Il apparaît que la théorie du gouvernement des juges s’applique véritablement dans le droit positif. De prime abord, l’affaire Vincent Lambert des années 2010 semble se restreindre au cas de la France. L’affaire a remis en cause les notions d’euthanasie à la française ainsi que la loi Leonetti de 2005, et l’affaire a suscité de nombreux débats au sein de la société française, que ce soit par les conflits internes qui ont déchiré les membres de la famille Lambert, ou des prises de positions du personnel politique. Or, il convient aussi d’observer que cette affaire a eu un écho international, de part le fait que la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a dû se positionner suite au recours formulé de Mme Lambert en 2015. Des comités comme le Comité des droits des personnes handicapés (CPDH) de l’ONU ont également rendu leur avis en 2019 sur cette affaire. D’autre part, on ne peut plus ignorer le rôle politique que joue certains juges de la CEDH mis en lumière par une étude récente du journal Valeurs actuelles (Comment Georges Soros a infiltré la Cour européenne des droits de l’homme). L’on comprend mieux la tendance progressiste des arrêts rendus par la Cour européenne. Il ne fût donc pas étonnant de la voir se prononcer pour l’arrêt des traitements médicaux. On ne peut pas non plus méconnaître le rôle considérable que joue la CEDH sur les droits internes. Et que par ses arrêts d’Assemblée, elle enjoint implicitement les juridictions nationales à s’y conformer. Le débat donc semblait nécessairement aboutir à l’acceptation de l’arrêt des traitements médicaux en France, et cette position a été consolidée par le droit de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’homme et des Libertés fondamentales (CEDSH).
Le sujet nous invite à traiter l’encadrement de l’arrêt des traitements médicaux en France. Le terme encadrer signifie diriger ou mettre sous l’autorité de personnes. Dans ce devoir, il s’agit de l’arrêt des traitements, lesquels se définissent dans l’ordre comme l’action de mettre fin à quelque chose ; et le traitement comme une manière de soigner un malade. On est dans un cadre médical, donc strictement encadré, et notamment par le Code de la santé publique (CSP).
Au niveau des sources, le droit à la vie est consacré à l’article 3 de la DUDH, à l’article 2 de la CESDH et en France avec la décision du Conseil constitutionnel IVG de 1975. Ces sources sont fréquemment utilisées pour contrecarrer l’argumentaire de ceux militant pour l’arrêt des traitements médicaux.
S’il ne s’agira donc de ne traiter que du droit français et pas d’autres droits nationaux, pour autant, le devoir devra aussi évoquer le droit de la CESDH, dont la France a ratifié la Convention le 3 mai 1974. Il faut mettre en lien ces deux droits, car le droit européen a une influence considérable sur l’évolution du droit français.
De plus, la CEDH entend protéger des droits de la CESDH, et c’est pour cela qu’elle permet à des particuliers de la saisir à l’encontre des Etats-partis en cas de violation de leurs droits. Ainsi donc, la CEDH rend des arrêts, et elle a compétence pour sanctionner les Etats. De plus, c’est sans compter le problème de l’acceptation de la pratique de l’euthanasie ou non dans les différents droits européens. En effet, dans certains pays comme les Pays-Bas ou la Belgique, la pratique de l’euthanasie dite « active légale » est autorisée. Alors qu’en France, l’euthanasie est dite « passive légale ». D’autres pays comme la Pologne interdisent formellement la pratique de l’euthanasie. Or, tous les pays que l’on vient de citer font partis de la CESDH.
Aussi, il convient d’être très vigilant quant à la terminologie que l’on va employer. Défini à l’article R. 4127-37-2 du CSP, l’arrêt des traitements correspond au fait de renoncer, d’entamer ou de poursuivre un traitement qui viserait à prolonger la vie d’un malade. Au regard du sujet proposé, d’autres termes nous viennent à l’esprit. Par exemple, le suicide correspond à l’acte de se donner volontairement la mort, par exemple, par défénestration. Il s’agit d’une action dénuée de tout lien avec le corps médical. Et il faut donc l’écarter de notre devoir. La notion de suicide est difficilement rattachable à l’idée d’arrêt de traitement. Par contre, la notion de suicide médicalement assisté, défini comme un soutien médical au patient pour mourir dont il en déclenche le processus, peut être raccroché à notre sujet d’étude, mais il n’est pas dépénalisé en France. Quant à l’euthanasie, elle correspond à un acte d’un médecin qui provoque la mort d’un malade incurable pour abréger ses souffrances ou son agonie. A la vue des définitions que nous vous proposons, il apparaît que la frontière entre l’arrêt des traitements et l’euthanasie est mince. Quelle différence pouvons-nous vraiment faire entre ces l’arrêt des traitements et l’euthanasie ? L’arrêt des traitements signe dans bon nombre de cas la mort du patient. Dans ce devoir, on assimilera alors les notions d’euthanasie passive et d’arrêt des traitements médicaux.
La France interdit l’euthanasie active, elle autorise l’euthanasie passive. C’est la loi Leonetti de 2005 qui fixe les droits des patients en fin de vie sur le territoire français. Mais elle a été médiatiquement remise en cause par la demande des parents de Vincent Lambert sur la poursuite des traitements. Mais selon la CEDH, l’arrêt des traitements ne constituerait pas une violation de l’article 2 de la CESDH portant sur le droit à la vie. Or, le problème juridique est que la CESDH ne consacre pas explicitement un droit à la mort. Partant de cet état de fait, l’on en déduit que la CEDH a fait œuvre d’une marge d’appréciation dans l’interprétation de sa décision, et a donc autorisé la France a pratiqué l’arrêt des traitements. Malgré des décisions européennes en faveur de la France, il apparaît que le droit français est conditionné par le droit de la CESDH. Il serait ainsi intéressant de voir le raisonnement juridique opéré en droit interne français aboutissant à l’arrêt des traitements médicaux, mais un raisonnement qui dû recevoir l’approbation de la CEDH. En ce sens, cela démontre toute la fragilité qui entourent ces notions éthiques et médicales qui encadrant ce problème juridique. Cependant, compte-tenu l’approche que nous adoptons dans ce devoir, les notions de dignité humaine et d’ordre public ne constitueront pas le cœur principal de notre étude.
L’affaire Vincent Lambert, par sa longévité et son enchevêtrement judiciaire, montre que le débat sur l’arrêt des traitements a été difficile. Outre cette célèbre affaire, la jurisprudence française a traité d’autres notions comme par exemple les refus de soins portant sur le consentement des patients. Ces autres notions connexes seront également abordées dans le devoir. Et elles ont également contribué à redéfinir l’encadrement de l’arrêt des traitements. Cependant, il faut noter que ces solutions jurisprudentielles sont d’une part récente, et d’autre part qu’elles sont strictement encadrées. Autrement dit, l’arrêt des traitements est loin d’être automatique, elle suit des procédures lourdes. Un contrôle casuistique, que ce soit par les médecins ou par les juges, doit être systématiquement fait selon les cas d’espèce. Ainsi donc, la CESDH n’admet pas formellement l’arrêt des traitements, démontrant la marge d’appréciation dont elle fait preuve.
Une question naïve qui doit être posée est celle de savoir quelle a été l’évolution de l’encadrement de l’arrêt des traitements médicaux en France. L’on ne saurait s’arrêter à cette simple interrogation, car d’autres pistes de réflexions doivent être abordées. D’abord, il faut montrer de quelle manière on a abouti à la décision d’encadrement législativement l’arrêt des traitements médicaux en France. Ce bilan doit nous amener à nous interroger sur la portée jurisprudentielle d’une telle solution, et notamment démontrer que cette avancée jurisprudentielle a été faite non sans difficultés. De surcroît, il faudra également mettre en évidence les difficultés terminologiques à s’accorder sur l’acceptation de la notion d’arrêts de traitements, et quelles autres notions ont ainsi dû être écartées. Ce devoir restera juridique, mais il implique nécessairement quelques éléments d’ordre politique, voire philosophiques. Enfin, quand bien même l’arrêt des traitements est accepté en France, il reste la question de son applicabilité, applicabilité qui est elle aussi sujette à caution.
Il convient, dans une première partie, de démontrer que l’acceptation de l’encadrement de l’arrêt des traitements médicaux en France a fait polémique et qu’il a soulevé divers enjeux juridiques. D’apparence, l’on peut croire que le problème juridique entourant l’arrêt des traitements a été résolu, et notamment par le dénouement de l’affaire Lambert (§1). Cependant, il s’agira ensuite de démontrer que, quand bien même une solution semble avoir été trouvée, le débat est loin d’être achevé. Il persiste encore des questions et des divergences d’interprétations quant à l’autorisation des arrêts de traitements, et notamment dans ses modalités d’application dans la pratique (§2).
§1. De la difficulté à établir un encadrement législatif de l’arrêt des traitements médicaux en France
Dans la société civile, la demande d’encadrement de l’arrêt des traitements est ancienne. En effet, des débats juridiques portaient déjà sur les notions de droit à la vie et de droit à la mort. Dans un premier temps, nous souhaitons retracer les objections quant à l’encadrement de l’arrêt des traitements médicaux, justifiées par le droit à la vie. Malgré cela, il faudra montrer que des arguments en faveur de l’arrêt des traitements faisaient déjà obstacles à ces décisions. A noter que ces contestations proviennent de la société civile et non pas du législateur français (A). Cependant, il apparaît que le droit positif français a progressivement admis cet encadrement législatif. Dans un second temps, nous voulons montrer que cet aboutissement jurisprudentiel a été fait non sans difficultés, et qu’il révèle ainsi toute la complexité qui entoure les notions portant sur la vie humaine (B).
A. Une contestation ancienne portant sur le droit à rester en vie fondée sur des questions métajuridiques
Les revendications portant sur le droit à la vie, et plus précisément au maintien en vie des patients avec la poursuite des traitements médicaux, proviennent de la société civile. Il faut noter ainsi que ce n’est pas le législateur qui porte ces prétentions.
A l’inverse, nous verrons dans le (§1. B) que le législateur a la volonté d’encadrer la fin de vie des patients. C’est une différence fondamentale à faire. Dans la jurisprudence européenne, il a été par exemple rejeté l’idée formelle d’un droit à mourir. On le voit par exemple dans l’arrêt de la CEDH, Pretty c/ Royaume-Uni de 2002. La question qui se posait était alors celle de savoir si le droit à la vie pouvait s’interpréter comme un droit à la mort. A cette question, la Cour n’a pas reconnu de versant négatif au droit à mourir au titre de l’article 2, du au fait qu’il n’y a pas de consensus au niveau européen. C’est pourquoi dans la CEDSH, seul un article 2 est consacré au droit à la vie. La Cour ajoute cependant que la question du droit à mourir relève du pouvoir d’appréciation des Etats au sens de l’article 8 portant sur le droit au respect de la vie privée et familiale. Précisons qu’il ne s’agit en aucun cas d’hypothèses comme la peine de mort, de torture, de peines et traitements inhumains ou dégradants. Ce sont des interdictions, des droits indérogeables relevant pour la plupart d’entre-elles de normes de jus cogens ou alors issus des deux Pactes de 1966.
La notion de pouvoir d’appréciation des Etats est confirmée dans la jurisprudence. Par exemple, un arrêt allant dans le sens de la possibilité d’arrêter les traitements, l’arrêt de la CEDH, Haas c/ Suisse de 2011, démontre la prise en compte du consentement du patient, mais à la condition qu’il soit en mesure de former librement sa volonté, ce qui n’était pas le cas en l’espèce. Autre exemple, dans l’arrêt Feuillatey rendu par le Conseil d’Etat en 2002, la France a montré qu’elle autorise les médecins la poursuite des traitements médicaux pour que le patient survive, même si celui-ci a refusé expressément. La particularité dans cette décision est que ce n’est pas un particulier, mais un médecin qui a revendiqué la poursuite des traitements. Sur cette affaire, le Conseil d’Etat juge que la poursuite des soins ne porte pas atteinte à la liberté du refus de soin. Certes, l’idée de consentement est mise à mal ici. Mais il faut garder en tête qu’il ne s’agit que d’une décision d’espèce. Le médecin a, en effet, toujours la possibilité d’arrêter les traitements, respectant ainsi la volonté du patient et donc mettant délibérément fin à ses jours. En droit de la responsabilité administrative, l’Etat français décide ainsi de protéger les médecins de ces choix cruciaux sur la vie des patients quel que soit le choix du médecin, en n’admettant qu’un cas d’ouverture de responsabilité sans faute pour les requérants.
Enfin, pour des questions d’ordre religieuses, les parents de Vincent Lambert se sont illustrés en s’opposant aux deux décisions des médecins de leur fils d’arrêter ses traitements médicaux. Ils le font pour des considérations de dignité humaine. Or, cette notion est particulièrement floue. Dans un arrêt d’Assemblée du Conseil d’Etat rendu en 2014, les parents se sont vus ainsi rejeter leur requête au motif que la décision du médecin était conforme au CSP. Par la suite, les parents ont saisi l’occasion de la nouvelle nomination d’un médecin pour intenter de nouveaux recours, mais ceux-ci ont été aussi rejetés. Dans l’ordre, il s’agit d’une décision du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de 2015 indiquant que les médecins restent indépendants moralement de la décision des parents, d’une décision de la Cour administrative d’appel de Nancy de 2016 où il est enjoint aux médecins de poursuivre la procédure collégiale, et de la décision du Conseil d’Etat de 2017 dans laquelle la décision initiale de 2014 ne peut pas recevoir application. Dans ce dernier arrêt, il est précisé par la juridiction suprême que le médecin a la liberté de ne pas suivre la décision de son prédécesseur, mais c’est bien ce choix qu’il pris dans le cas d’espèce.
C’est dans ce contexte polémique qu’aura émergé le débat sur l’arrêt des traitements médicaux. Il apparaît déjà que l’idée du droit de vie n’est pas absolue. Les arrêts précités montrent qu’à défaut d’avoir admis expressément un droit à la mort dans certaines décisions, les juges n’ont jamais écarté d’office l’hypothèse de l’arrêt des traitements. C’est ce qui nous conduit à montrer à présent que finalement, dans le droit positif français, on est arrivé dans le droit positif français, à l’admission des arrêts de traitements médicaux.
B. Un enchevêtrement juridique, par une acceptation lente et laborieuse des arrêts des traitements médicaux fondée sur la notion de dignité humaine
Comme vu supra, l’affaire Vincent Lambert s’est éternisée dans le temps et au niveau procédural. Certains parlent même de guerre juridictionnelle. Les parents ont utilisé toutes les voies de recours qui leur ont été offertes. Cela témoigne au moins de l’intérêt porté à la question de l’arrêt des traitements médicaux au sein de la société civile. Si le président de la République n’a pas souhaité s’immiscer dans l’affaire, d’autres personnalités politiques ne se sont pas privées pour donner leur avis et ainsi tenter d’influencer les décisions des juridictions nationales.
Les questions procédurales sont d’autant plus importantes à relever. L’affaire Lambert a été en effet jugée devant la Grande chambre de la CEDH en 2015, ce qui témoigna du sérieux de l’affaire et de la nécessité d’agir vite. Rappelons que la tendance est au rejet des requêtes des particuliers, à environ 90% du temps, car la saisine de la CEDH répond à des conditions précises. L’affaire est devenue éminemment politique. La CEDH a rejeté la requête au motif que le cadre législatif français était suffisamment clair et prévisible, et la CEDH a ainsi validé le raisonnement tenu par le Conseil d’Etat en 2014. Par la suite, la CEDH a dû encore se prononcer dans un arrêt rendu en 2019, arrêt qui a été sous influence du comité international pour la protection des droits de l’homme (CIDPH). Il faut noter que cette fois-ci, il a été invoqué par les requérants une violation relative à la voie de fait. Mais les juridictions de fond ont rejeté cette requête quelque peu fantaisiste. Le droit à la vie n’entre en effet pas dans le champ de la liberté individuelle au sens de l’article 66 de la Constitution.
La question sur l’encadrement de l’arrêt des traitements médicaux n’est pas seulement réservée au législateur. Là aussi, des acteurs de la société civile ont contribué à l’admission des arrêts de traitements. Par exemple, le Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE) a rendu un avis n°121 en 2013 portant sur la « Fin de vie, autonomie de la personne, volonté de mourir ». La Commission Sicard s’est prononcée contre toute forme d’euthanasie et d’assistance au suicide. Il distingue ainsi le fait de donner la mort et le fait d’arrêter des traitements et d’utiliser des soins palliatifs. Mais il recommande des modalités pour accompagner la fin de vie des patients, en prenant notamment en compte la notion de dignité humaine. En ce sens, le comité milite pour une forme d’euthanasie passive à la française. Dans la même optique, le législateur a proposé une loi en 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie. A cette occasion, on y a intégré le rapport des députés Leonetti et Clayes, demandant un droit à la sédation terminale, et le fait de rendre obligatoire des directives anticipées. Elle a pour objectif de clarifier les conditions d’arrêt de traitement au titre du refus de l’obstination déraisonnable, comme indiqué dans l’article L. 1110-5-1 du CSP, qui instaure un droit à la sédation profonde et continue jusqu’au décès pour les personnes dont le pronostic vital est engagé à court terme. En bref, la loi reprend l’idée de l’avis n°121 en répondant mieux à la demande à mourir dans la dignité.
Il a été vu dans un premier temps que la question de l’arrêt des traitements médicaux en France a été admise dans la jurisprudence française. Partant, il a été naturellement question d’encadrer cette pratique. Cependant, nous allons voir, dans une deuxième partie, que l’issue de cette saga juridique est loin de faire l’unanimité. Autrement dit, il faut noter que la décision Lambert ne s’est nullement vu appliquer stricto sensu. La décision Lambert a su dégager des valeurs, mais en aucun cas des principes rigides. Voyons donc à présent en quoi il y a des frontières poreuses pour l’autorisation des arrêts des traitements médicaux, et en quoi l’applicabilité de l’arrêt des traitements peut poser problème dans la pratique.
§2. Une résolution fragile du débat : des frontières poreuses pour l’autorisation des arrêts des traitements médicaux
Malgré le fait que l’affaire Lambert semble avoir clôt le débat sur l’encadrement de l’arrêt des traitements médicaux, il s’est avéré que cette décision de principe n’a pas été suivie rigoureusement dans le droit positif. C’est là que l’on voit toute l’influence de la CEDH de dégager des directives aux Etats, mais sans pour autant les enferme dans des décisions préconçues. Il persiste ainsi de nombreuses divergences d’interprétation quant à l’arrêt ou non des traitements médicaux (A). De telles différences doivent s’analyser comme le fait que la décision Lambert n’avait pas vocation à être érigée comme une décision ultime en la matière médicale. Partant, si le droit français admet l’arrêt des traitements, cela n’est nullement une décision à appliquer stricto sensu à chaque cas d’espèce. Dès lors, chaque cas médical doit faire l’objet d’un traitement et d’une analyse particulière, que ce soit de part le souhait des médecins ou la volonté des patients et des membres proches (B).
A. La persistance d’une d’interprétation divergente théorique quant à l’arrêt des traitements
L’on a vu que la France interdisait l’euthanasie active. Sans admettre formellement une euthanasie passive, le droit français a accordé aux patients un droit à une sédation profonde. Peut-on alors jusqu’à évoquer une sorte de régime sui generis de l’euthanasie ? C’est-à-dire que l’euthanasie a été admise implicitement ? Nous avançons l’hypothèse que le législateur a tout intérêt à rester flou dans son intention, car le fait de consacrer définitivement la notion d’euthanasie passive, ferait courir le risque de tomber trop facilement sur les jougs des critères de la dignité humaine. La France prendrait dès des précautions pour éviter de se faire sanctionner trop facilement par la CEDH. La dignité humaine est une notion d’autant plus influente qu’elle a été consacrée dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948. De nombreuses jurisprudences ont déjà attestées la prise en compte du critère de la dignité humaine. Par exemple, s’agissant de la protection de l’ordre public immatériel avec la célèbre décision du Conseil d’Etat, Commune de Morsang-sur-Orge, rendue en 1995. En tout cas, de nombreuses dispositions du CSP viennent encadrer cette euthanasie non-assumée, et conçues toujours dans le but de respecter la dignité humaine.
Si la décision Lambert est l’une des plus importantes en matière médicale, il faut toutefois rappeler que son issue résulte de la marge d’appréciation qu’a accordé la CEDH à la France. Il était donc prévisible que la solution adoptée dans l’arrêt Lambert ne devienne pas une règle absolue. C’est ce qui conduit donc naturellement à des divergences d’interprétation. Par exemple, le Conseil constitutionnel a été amené à confirmer, dans sa décision n°2017-632 QPC de 2017, la conformité à la Constitution des dispositions qui autorisent, au terme d’une procédure collégiale, l’arrêt des traitements s’agissant d’une personne hors état d’exprimer sa volonté. Que le Conseil constitutionnel soit amené à faire un contrôle de constitutionnalité démontre que le débat sur l’arrêt des traitements n’est pas clos.
De même, dans une décision rendue par le Conseil d’Etat en 2018, Mme B et M. D…, il est question d’une petite fille qui souffre d’une maladie auto-immune sévère. Les médecins ont jugé bon d’arrêter les soins, auquel cas cela s’apparenterait à de l’acharnement thérapeutique. Or, les parents se sont prononcés pour le maintien des traitements. Ils ont été déboutés de leurs requêtes. En tout cas, il est intéressant de voir que chaque cas d’espèce est différent, et que la décision des médecins à l’issue des procédures collégiales tient compte de chaque particularisme. Autrement dit, il ne s’agit nullement d’appliquer la solution de l’arrêt Lambert stricto sensu.
Si, sur le plan théorique, la question de l’arrêt des traitements suscite encore dans quelques cas débats, il s’avère que dans la pratique, l’encadrement des traitements posera toujours difficulté. Et pour cause, c’est la matière médicale qui fait précisément aboutir à des divergences d’applicabilité de la solution jurisprudentielle de l’affaire Lambert. La science médicale n’est pas mathématique, elle admet des contingences dans ses solutions médicales. Ainsi donc, il a été admis, non sans difficultés, l’encadrement des traitements médicaux pour la fin de vie. Voyons à présent en quoi un tel encadrement médical aboutit d’office à des contrôles et des solutions divergents pour chaque espèce.
B. L’arrêt des traitements non systématiques de par une procédure strictement encadrée : l’appréciation casuistique de chaque cas médical pour l’arrêt des traitements
Nous l’avons vu, en principe, la question de l’arrêt des traitements ne pose plus problème. En revanche, chaque cas d’espèce qui se présente au corps médical n’aboutit pas à une application mécanique, soit l’arrêt des traitements. Au contraire, il y a des cas où il peut être ordonné la poursuite des traitements. L’affaire du bébé Marwa de la décision du Conseil d’Etat, Assistance publique-hôpitaux de Marseille de 2017, est assez illustrative.
De cette affaire, il faut souligner le fait qu’il est demandé aux médecins et aux experts de faire une longue évaluation des éléments médicaux. Et ici, on fait tout particulièrement attention à la situation du patient. Marwa étant très jeune, les décisions doivent être prises dans l’intérêt supérieur de l’enfant. D’autre part, à l’instar de Vincent Lambert, l’état médical du patient n’est pas qualifiable d’irréversible. De surcroît, l’arrêt des traitements n’avait pas été décidé à l’issu d’un délai assez long pour estimer quelles seraient les conséquences neurologiques. Dès lors, la poursuite des soins ne peut alors être perçue comme un acharnement thérapeutique.
La question du consentement est, dans ce genre d’affaire médicale, constamment de vigueur. Or, il s’est avéré impossible de rechercher la volonté de l’enfant. Compte-tenu de l’état du patient, le Conseil d’Etat a souhaité se référer à la volonté des parents. Il s’agit là d’une divergence d’espèce avec l’affaire Lambert où la demande de ce dernier est systématiquement rejetée. Ce rejet s’explique par le manque d’unanimité au sein de la famille Lambert même. En effet, une partie de la famille prône le droit de mourir dignement alors que les parents soutiennent le droit à la vie. Dans l’affaire Assistance publique-hôpitaux de Marseille, le juge peut prendre en compte l’avis de la famille, car ils sont tous unanimes pour la poursuite des soins.
Toutefois, l’idée de consentement n’apparaît pas être un critère aussi déterminant qu’on le
croirait, comme on l’a déjà vu supra avec la jurisprudence Feuillatey de 2002. En effet, dans l’arrêt
de la CEDH de 2018, Afiri et Biddari c/ France, la requête des parents a été rejeté. L’on voit dans
cette affaire le rôle et la liberté, dont jouit le médecin pour décider du sort de l’enfant. Là encore,
il apparaît le fait que la CEDH laisse une ample marge d’appréciation aux Etats. Il est à prévoir
que la question de l’encadrement de l’arrêt des traitements médicaux en France, même si elle a été
admise, continuera à être source d’instabilité juridique à l’avenir. Mais une telle souplesse dans cet
encadrement législatif se justifierait par le caractère sensible de ces questions d’ordre éthiques