Selon Olivier Gohin, « le Premier ministre (PM) peut être décrit à la fois comme un nain politique et un géant administratif ». Cette citation illustre relativement bien l’exécutif bicéphal de la Constitution de 1958, ainsi que la hiérarchie des autorités gouvernementales. Cette logique n’est pour autant pas absolue. En effet, cet état de fait est davantage dû au fait que le pouvoir Constituant n’avait pas prévu les situations inédites qui allaient se présenter sous la Ve République.
Si le Président de la République (PDR) est un géant politique, mais un nain administratif, il est de facto le chef de l’Etat, arbitre, et en principe au-dessus des partis politiques (Art. 5 de la Constitution), tandis que le PM est le chef du gouvernement et conduit la politique de la Nation (Art. 20 de la Constitution). Le principe hiérarchique implique que des autorités doivent respecter, au cours leurs missions, les directives de leurs autorités supérieures. Cependant, par souci d’efficience de l’action administrative, l’intégralité de l’action de l’administration ne pouvait pas se concentrer aux seules mains du pouvoir central. C’est pourquoi l’administration d’Etat se divise en deux branches, lesquelles sont les administrations centrales, c’est-à-dire le PDR et l’ensemble des ministres, ainsi que l’administration déconcentrée. Corollaire de la centralisation, la déconcentration a pour objectif de donner des compétences à des agents de terrain, représentants de l’Etat central. Mais à la différence des agents décentralisés, ils sont subordonnés au sens qu’ils demeurent soumis à l’autorité hiérarchique des autorités centrales. L’on peut ainsi résumer la hiérarchie de l’administration d’Etat comme telle : le PDR àsatête, puis le PM, puis les ministères et les agents déconcentrés sous leurs ordres. Le présent devoir excluera ainsi l’analyse des services décentralisés.
Le principe hiérarchique imposé aux agents déconcentrés traduit la volonté du pouvoir central de garder une mainmise sur l’action des agents de l'administration de l’Etat. Même le PDR n’est pas une autorité hiérarchique inattaquable, puisqu’il peut toujours faire l’objet d’un contrôle par le Conseil constitutionnel, et du Conseil d’Etat. Dans un souci d’efficacité, les préfets sont contrôlés régulièrement au regard des politiques publiques établies à l’échelon central. La déconcentration vient ainsi corriger le mille-feuille administratif, c’est-à-dire les lourdeurs administratives des autorités centrales, par application du principe de subsidiarité (Loi ATR de 1992). En situation de concordances des majorités, le principe hiérarchique s'ensuit tel qu’énoncé supra, c’est-à-dire que c’est bien le PDR qui impulse les grandes orientations de la Nation, et dont le PM est chargé de les mettre en œuvre. Caricaturalement, sous la présidence de N. Sarkozy, F. Fillon était même perçu par lui comme un simple collaborateur, expression très réductrice du rôle du PM. C’est même dénaturer le rôle du PM qui conduit bien la politique de la Nation, et c’est en cela qu’il est le véritable chef de l’administration de l’Etat. Même s’il n’est pas le supérieur hiérarchique en principe, il l’est tacitement dans la pratique du pouvoir. Cette logique se vérifie d’autant plus en période de cohabitation, dans laquelle l’on voit bien une prééminence exacerbée du PM sur l’administration, non seulement en substituant quelques compétences dans les faits du PDR, mais en réaffirmant véritablement son rôle de chef d’orchestre de l’administration. Il reste que chaque autorité de l’administration de l’Etat doit loyauté absolue à son supérieur hiérarchique. Il leur ainsi est difficile de savoir, en vertu du principe hiérarchique, à qui se référer. Le débat n’est pas tant de savoir si le principe hiérarchique est effectif (puisqu’il l’est globalement), mais celui d’en déterminer sa substance.
Ainsi, la question qui pourrait se poser est celle de savoir comment s’exprime le principe hiérarchique dans le droit positif français, et, in fine, dans l’administration de l’Etat.
Si la Constitution prévoit expressément, à de nombreux égards, la hiérarchie des autorités administratives de l’Etat, dont avec à sa tête le PDR (I), il n’en reste pas moins qu’en réalité, c’est bien souvent le PM qui en définit les définit les contours du principe dans la pratique du pouvoir (II).
I. L’encadrement de la supériorité hiérarchique des autorités gouvernementales
Le doute quant à la hiérarchie des autorités gouvernementales pèse à la lecture de la Constitution. En tout point, certains constitutionnalistes diront que c’est le PDR qui en est à sa tête, érigeant les lignes directrices au PM (A), tandis que le PM et les ministres n’apparaissent que comme de simples exécutants (B).
A. La prééminence du chef de l’Etat sur les autres autorités administratives
S’agissant du Premier ministre, il est nommé par PDR à la suite des élections législatives. La situation normale est le fait majoritaire. Cela montre bien un certain rapport d’autorité sur le PM. N. Sarkozy a même renforcé cette logique en traitant F. Fillon de collaborateur. En plus, le PDR peut également démettre le PM. Faut-il évoquer l’exercice des pouvoirs exceptionnels (Art 16. de la Constitution), qui ne fait qu'exacerber la stature du PDR (CE, 1962, Rubin de Servens), cumulant la casquette politico-administrative pour une période donnée.
S’agissant des autres ministres, qui sont les ministres d’Etat, ordinaires, délégués, secrétaires d’Etat, là encore la pratique du PDR tend à démontrer qu’il est leur patron. Le PDR Chirac disait du ministre de l’intérieur Sarkozy qu’il décidait et lui exécutait. En réalité, les ministres, pour des questions de carrière, vont aller dans le sens de la volonté présidentielle. Le Général de Gaulle faisait même signer des lettres à ses ministres, sorte de contrat, qui prévoyait leurs démissions en cas de non-application de la volonté présidentielle. Autre situation, en vertu de la théorie du parallélisme des compétences du droit public, le PDR peut les démettre, même si cela n’est pas expressément prévu par la Constitution. Peut-on aussi évoquer le Commissaire du gouvernement, nommé aussi par le PDR dans la CNIL et l’AMF, qui traduit une immixtion des autorités gouvernementales dans les AAI, quatrième pouvoir pour certains. B. Les membres du gouvernement, véritable chef d’orchestre de l'administration S’agissant des autres ministres, l’on peut les analyser in fine comme subordonnés au PM, même si la Constitution ne dit pas nommément qu’il s’agit de leur responsable hiérarchique. Tacitement, on le devine à la lecture de l’article 20 et 21. Pour autant, parfois, les ministres agissent comme chefs de service de leur administration, sans liens de dépendance avec le PM (CE, 1936, Jamart). Aussi, la hiérarchie n’est pas absolue, car l’ensemble du gouvernement peut sauter, si une question de confiance est initiée (Art. 49 de la Constitution). Tandis que le PDR ne peut pas être démis de ses fonctions (d’autant plus exacerbée depuis la révision constitutionnelle de 2008 avec la suppression de la Haute Cour de justice). S’agissant des autorités déconcentrées, certes, elles sont nommées par le PDR (Art. 13 de la Constitution). Concrètement, il s’agit des préfets, des maires ou des recteurs, dont l’ensemble de leurs décisions s’appliquent sur le territoire français en vertu de leur compétence de principe (Art. 1 du décret du 7 mai 2015 portant Charte de la déconcentration). Mais c’est bien le PM qui détient le pouvoir réglementaire de droit commun. Tel est le cas en matière de mesures de police à caractère général (CE, 1973, Association culturelles des israélites nord-africains de Paris), car la jurisprudence Labonne de 1919 du CE a été abandonnée sous la Ve.
Si le principe hiérarchique peut s'interpréter, au regard de la Constitution, comme la manifestation de la prééminence du PDR, c’est en réalité le PM qui apparaît comme le véritable orchestre de l’administration de l’Etat, que ce soit sous l’angle théorique ou dans la pratique.
II. La véritable prééminence du gouvernement dans la pratique du pouvoir
Il en découle logiquement un rapport de subordination des autorités déconcentrées aux autorités centrales à la lecture de la Constitution (B). Pire, cette prééminence du PM est accrue en période de cohabitation (A).
A. La logique de PM, en tant que chef d’orchestre de l’administration, renforcée sous la période de cohabitation
Le rôle du PM est d’autant plus exacerbé en période de cohabitation, car le PDR est contraint politiquement à faire des concessions au gouvernement. En effet, le PDR va nommer le chef de parti en tête des élections législatives. Ainsi, non-prévue par le Constituant, des pratiques se sont développées à compter des premières cohabitations avec le PM J. Chirac. D’une part, la tenue de séminaires gouvernementaux est devenue la norme sous L. Jospin, il faut y voir un contrepouvoir des conseils des ministres, donc une provocation au PDR. D’autre part, les comités interministériels ont comme président de réunion le PM, dans lesquels sont élaborés les politiques ministérielles. Il faut y voir une substitution du PM au PDR pour l’élaboration des politiques publiques.
Pour autant, la situation de cohabitation a été atténuée par la révision constitutionnelle de 2000 alignant le calendrier électoral en passant du septennat au quinquennat. De, l’empiètement n’est pas absolu, puisque le PDR conserve ses prérogatives issues de la Constitution. Pire, le PDR peut faire dysfonctionner l’appareil d’Etat. Certes, le PDR se voit contraint politiquement d’accepter la liste proposée par le PM. La pratique a démontré qu’aucun PDR n’a réussi à intégrer des ministres de son bord politique dans les gouvernements. Mais par sa liberté de nomination des autorités administratives, le PDR peut tout de même noyauter les ministères, conduisant ainsi à des blocages ministériels. Même sous cohabitation, la hiérarchie n’est donc pas absolue.
B. L’application du principe hiérarchique aux autorités déconcentrées
La cohérence des services déconcentrés découle de la structure pyramidale. Le principe de hiérarchie implique que les autorités déconcentrées soient soumises aux injonctions des autorités gouvernementales. C’est ce qu’on appelle la phase ascendante du principe hiérarchique, c’est-à-dire qu’il faut remonter toute la chaîne hiérarchique au N+1, pour remonter les informations au gouvernement.
La jurisprudence a confirmé le principe hiérarchique. Les rapports hiérarchiques existent
toujours, même en l’absence de texte, puisqu’ils sont inhérents aux structures administratives
(CE sect, 1950, Quéralt). Le principe hiérarchique n’implique pas un rapport vertical absolu,
puisque les agents publics sont fondés à se retourner contre leurs supérieurs hiérarchiques.
Néanmoins, la prééminence hiérarchique est telle que ces recours sont soumis à des
conditions draconiennes. Par exemple, les agents publics ne peuvent pas contester les mesures
relatives à l’organisation des services qui ne porteraient pas atteinte aux droits tenus du statut,
aux prérogatives attachées à leurs fonctions, et à leurs conditions d'emplois ou de travail (CE
sect, 1993, Syndicat national autonome des policiers en civil). Autre exemple, une demande
d’annulation de mutation d’office n’a pas été reconnue à un seul syndicat de fonctionnaires
d’intérêt pour agir, quand bien même le fonctionnaire est un représentant élu du syndicat et
que ce dernier est habilité à intervenir (CE, 1991, Syndicat CGT des employés communaux de
la mairie de Nîmes). Ainsi, la hiérarchie entre agents déconcentrés et autorités
gouvernementales apparaît absolue