La Constitution du 4 octobre 1958 reconnaît pour la première fois le domaine de la loi et le domaine du règlement. La Constitution a eu pour effet de replacer le Président de la République au centre des institutions en lui conférant à nouveau le pouvoir réglementaire dont il en était le détenteur sous la IIIe République, mais privé par le président du Conseil sous la IVe République.
La répartition peut se définir comme l’action de répartir et de partager les choses. Quant au pouvoir réglementaire, celui-ci peut se définir comme le pouvoir dont disposent les autorités exécutives et administratives de prendre unilatéralement des actes exécutoires comportant des dispositions générales et impersonnelles. En d’autres termes, le pouvoir réglementaire est la capacité de prendre des normes générales et abstraites qui vont s’appliquer à toute ou partie de la population. Sous la Ve République, le Président de la République est le chef de l’Etat en France, exerçant les plus hautes fonctions du pouvoir exécutif de la République. Le Premier ministre est le chef du gouvernement français.
La Constitution définit explicitement le pouvoir réglementaire et instaure un domaine du règlement dit “autonome”, non soumis à la loi1 en même temps que la loi voit son propre champ limité. Il est détenu principalement par le Premier ministre, ainsi que le Président de la République pour des textes les plus importants après délibération en Conseil des ministres.
Notion difficile à cerner, certains auteurs évoquent une “crise” du pouvoir réglementaire. Si la Constitution de la Ve République a défini le périmètre d’exercice du pouvoir réglementaire, cette “crise” du pouvoir réglementaire peut s’expliquer en partie par la multiplication des détenteurs du pouvoir réglementaire. Les autorités pouvant exercer le pouvoir règlementaire sont nombreuses, mais ce devoir se restreindra à l’analyse de la répartition du pouvoir réglementaire entre le Président de la République et le Premier ministre. Ceux-ci constituent les autorités les plus importantes de l’administration de l’Etat, et plus précisément de l’administration centrale. Le Président de la République et le Premier ministre sont des autorités à compétence générale.
Le pouvoir exécutif est partagé entre le Président de la République et le gouvernement dirigé par le Premier ministre. En réalité, la conjoncture politique conditionne l’autorité de l’exécutif. Le pouvoir exécutif revient la majeure partie du temps au Président de la République. En situation de concordances des majorités, le Président de la République exerce le pouvoir exécutif. Cependant, en période de cohabitation, celui-ci revient au Premier ministre. Il convient de faire attention avec les notions de pouvoir exécutif et pouvoir réglementaire, deux notions liées mais quelque peu différente.
La Constitution de la Ve République répartit le pouvoir réglementaire entre le Président de la République et le Premier ministre. Et en ce qui concerne le pouvoir réglementaire, celui-ci revient de droit commun au Premier ministre, alors que le Président de la République détient une compétence résiduelle en matière règlementaire. Si d’apparence, la Constitution partage à peu près équitablement ce pouvoir réglementaire en situation de concordance de majorité, cela ne semble ne pas être le cas en période de cohabitation, période dans laquelle le périmètre du pouvoir réglementaire se voit modifié. Le pouvoir réglementaire apparaît effectivement être “en crise”. En cohabitation, période qui n’a pas été anticipée par les rédacteurs de Constitution, la Ve République devient une dyarchie où s’installe une relation de coopération entre le Président de la République et le Premier ministre. Si la Constitution clarifie la répartition du pouvoir réglementaire, l’exercice du pouvoir réglementaire est redéfini dans la pratique. Il y a une absence nette de délimitation entre le pouvoir réglementaire du Premier ministre et du Président de la République. Dès lors, la question de la répartition du pouvoir réglementaire mérite d’être posée.
Les dispositions de la Constitution du 4 octobre 1958 répartissent des pouvoirs réglementaire équilibrés à la tête de l’exécutif (§1) et mais ce pouvoir réglementaire est en réalité détenu, dans nombreuses circonstances, par le Premier ministre (§2).
§1. Une répartition à peu près équilibrée du pouvoir réglementaire entre le Président de la République et le Premier ministre
Dans l’ordre administratif, les autorités suprêmes, que sont le Président de la République et le Premier ministre sont investies de compétence d’ordre général. Sera ainsi analysé le pouvoir réglementaire du Premier ministre (A), ensuite celui du Président de la République (B).
A. Le pouvoir réglementaire, compétence de droit commun du Premier ministre
Le Premier ministre exerce des pouvoirs propres au niveau réglementaire, mais de prime abord, celui-ci peut sembler limité par le pouvoir réglementaire du Président de la République. Il dispose en effet d’un pouvoir de coordination interministérielle, au regard du “gouvernement [qui] détermine et conduit la politique de la Nation” mais “sous réserve des dispositions de l’article 133”. Le pouvoir réglementaire du Premier ministre est donc limité. Ainsi, tout décret délibéré en Conseil des ministres ne peut être modifié que par un décret adopté selon la même forme. Or, les décrets délibérés en Conseil des ministres sont signés par le Président de la République. Cependant, il faut remarquer que les lois prévoient rarement que leurs décrets d’application soient pris en Conseil des ministres signés par le Président de la République. En pratique, l’essentiel des décrets à caractère réglementaire, à portée générale et impersonnelle, sont signés par le Premier ministre. Il s’agit de décrets en Conseil d’Etat, signés par le Premier ministre.
Le Premier ministre a une obligation d’exécuter la loi. Si l’expression de chef du gouvernement ne figure pas dans la Constitution, cette dernière dispose pourtant que le premier ministre “dirige l’action du gouvernement”. Certes, il n’est pas le supérieur hiérarchique des ministres. Mais il reste à la charge et à la direction du gouvernement. Le pouvoir réglementaire du Premier ministre complète l’initiative de la loi. Chargé de présenter les projets de loi, il est logique qu’il incombe au Premier ministre la responsabilité de leur exécution. Il veille à ce que l’ensemble des décisions soit conforme à l’orthodoxie politique définie par le gouvernement. Pour ce faire, le Premier ministre doit rendre les lois applicables, généralement imprécises pour être d’application immédiate, en prenant les décrets nécessaires à leur entrée en vigueur. Ce n’est pas une faculté mais une obligation, issue de la reconnaissance d’une compétence de droit commun du Premier ministre en matière règlementaire.
Il a été vu le pouvoir réglementaire du Premier ministre. A présent, il convient d’analyser celui du Président de la République.
B. Le pouvoir réglementaire, compétence résiduelle du Président de la République
S’agissant du pouvoir normatif, le Président de la République signe “les décrets délibérés en Conseil des ministres”, illustrant le bicéphalisme de la Ve République, donc d’une répartition partagée du pouvoir réglementaire. Le Président de la République n’est compétent que lorsque la loi renvoie à un décret en Conseil des ministres. Il ne détient le pouvoir réglementaire que pour les pouvoirs importants. Il est également compétent pour modifier un décret délibéré en Conseil des ministres. De tels décrets ne peuvent être modifiés que par des décrets de même nature et non par des décrets du Premier ministre. Cependant, afin d’éviter une extension abusive de la compétence du Président de la République au détriment du Premier ministre, il a été admis qu’un décret en conseil des ministres puisse comporter un article disposant que “le présent décret peut être modifié par décret du Premier ministre”.
Trois cas de figure pour la prise d’un décret par le Président de la République existent. Premier cas, la loi peut prévoir que la signature des décrets en Conseil des Ministres relève du Président de la République. Mais dans la pratique, cette hypothèse est peu fréquente. Lorsque c’est le cas, le décret sera alors contresigné par le Premier ministre, ainsi que par les ministres responsables. Deuxième cas, lorsque la loi ne le prévoit pas, alors le principe est que tout décret délibéré en Conseil des ministres doit être signé par le Président de la République, alors même qu’aucun texte n’imposait cette procédure et entre donc dans sa compétence exclusive. Troisième cas, qui est une pratique instaurée dès 1959 par le général de Gaulle non prévue par la Constitution, le Président de la République peut signer des décrets non délibérés en Conseil des ministres. Par exemple, il peut s’agir du domaine de la défense nationale. Cela paraît contraire à la Constitution car d’après l’article 13 de la Constitution, le Président de la République signe les décrets délibérés en conseil des ministres. La jurisprudence a dégagé une solution pragmatique : ces décrets signés hors des Conseil des ministres restent légaux, car le juge administratif considère que la signature apposée par le Premier ministre, autorité compétente en droit et contresignataire, sur le décret équivaut à la signature du Président de la République. Dès lors, la signature du Président de la République sur ce type de décret est considéré comme un simple ajout.
S’agissant de l’exercice du pouvoir réglementaire en période de crise, plusieurs articles de la Constitution peuvent être enclenchés. Cela peut concerner l’exercice des pouvoirs exceptionnels, en cas d’état de siège et pour l’instauration d’un état d’urgence. Mais l’activation de ces articles est stricte. Par exemple, pour l’octroi des pouvoirs exceptionnels : la situation doit être “grave” et “immédiate” ; la menace doit affecter “les institutions de la République, l’intégrité du territoire, l’indépendance de la nation ou l’exécution des engagements internationaux” ; le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels doit connaître une interruption.
Il a été vu que le Président de la République et le Premier s’étaient vu répartir leur pouvoir réglementaire dans la Constitution, même si des pratiques officieuses apparaissaient déjà dans la pratique. Pour autant, cette répartition du pouvoir réglementaire n’est pas égale, elle reste bien exercée par le Premier ministre. Ce décalage s’observe d’autant plus en période de cohabitation. Et même si la cohabitation n’a pas été prévue par la Constitution, la pratique politique fait apparaître des situations juridiques imprévues qu’on ne peut pas ignorer.
§2. Une répartition inégale du pouvoir réglementaire en faveur du Premier ministre
Le Premier ministre est le premier détenteur du pouvoir réglementaire. Il a des attributions, des domaines qui lui sont réservés et prévus par la Constitution. L’on peut par exemple le constater avec son exercice du pouvoir réglementaire général en matière de police (A). Cette prééminence de l’exercice du pouvoir réglementaire est d’autant plus exacerbée en période de cohabitation (B).
A. Le pouvoir réglementaire général en matière de police
Le Premier ministre s’est vu reconnaître le pouvoir de prendre des mesures de police au niveau national, ce que n’a pas le Président de la République. Il est titulaire d’un pouvoir de police général comme par exemple, en matière de circulation routière. Le Premier ministre doit protéger l’ordre public en veillant au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publique. Les mesures de police doivent être “appliquées dans l’ensemble du territoire”. Cette compétence réglementaire de droit commun pour l’exercice des missions de police contribue à faire du Premier ministre le chef du gouvernement. Il dispose de prérogatives qui le placent au centre du processus normatif. Il peut ainsi adresser aux membres du gouvernement et aux administrations des instructions par voie de circulaire, leur prescrivant d’agir dans un sens déterminé ou d’adopter telle interprétation des lois et règlements.
Le détour sur le pouvoir réglementaire de police générale du Premier ministre vaut le détour. Après la Première guerre mondiale, la jurisprudence Labonne avait consacré un pouvoir de réglementation au chef de l’Etat en matière de police administrative. Cette logique est inversée depuis la Ve République. C’est d’autant plus étonnant que le Premier ministre dispose de toute l’étendue de ce pouvoir de police général, malgré la répartition des compétences entre loi et règlement induite par les articles 34 et 37 de la Constitution. L’article 37 induit en effet que ce pouvoir réglementaire est autonome, disposant du domaine propre de police générale. On assiste à une forme de constitutionnalisation de la jurisprudence Labonne, qui est désormais ancrée dans le droit positif français.
B. Un empiètement du pouvoir réglementaire du Président de la République en période de cohabitation en faveur du Premier ministre
En période de cohabitation, la répartition des pouvoirs ne s’inscrit pas dans le fonctionnement normal du système politique. La cohabitation relève d’une période exceptionnelle et s’analyse comme une période de dysfonctionnement de la Ve République. L’on savait que le Président exerçait dans la pratique la politique de la nation. Par exemple, sous le mandat du Président Nicolas Sarkozy, le Premier ministre Fillon n’était qu’un “collaborateur”, une sorte d’exécutant de la volonté présidentielle. Mais constitutionnellement, c’est bien le Premier ministre et son gouvernement qui détermine “la politique de la nation”. Ainsi, le Président de la République est obligé de tenir compte de l’opposition, et se voit contraint politiquement à faire des concessions au gouvernement.
Cependant, cet empiètement du pouvoir réglementaire du Président de la République par le Premier ministre n’est pas absolu. En effet, en cohabitation, le Premier ministre n’est pas pour autant véritablement le chef de l’exécutif. Le Président de la république conserve ses prérogatives inscrites dans la Constitution. Le Président Français Mitterrand l’a rappelé sous la première cohabitation, en déclarant qu’il ne connaissait “qu’une réponse, la seule possible, la seule raisonnable, la seule conforme aux intérêts de la nation : la Constitution, rien que la Constitution, toute la Constitution”. Il n’en demeure pas moins que le Président de la République se retrouve dans une situation singulière, celle de rester le chef de l’Etat mais devenant un acteur affaibli et le premier des opposants.