Dissertation : Les mécanismes permettant à un État de se délier de ses engagements conventionnels vous paraissent-ils satisfaisants ?
Vous traiterez le sujet proposé en vous aidant des documents reproduits, et notamment de l’arrêt rendu par la Cour internationale de Justice dans l’affaire Gabčíkovo-Nagymaros. Il vous faudra cependant élargir la réflexion au-delà des mécanismes dont cette affaire expose le fonctionnement, en ce que la question que soulève le sujet de dissertation ne s’épuise pas dans ces seuls aspects.
Le Projet Gabčíkovo-Nagymaros témoigne de la difficulté de se retirer d’un traité. En 1977, la dénonciation du traité du 15 mars 1977, à la demande de la Hongrie, a été rejetée par la CIJ. Cette dernière a imposé aux parties des négociations en vue d’assurer la réalisation des objectifs du traité. Elles ont échoué. En 1998, un autre jugement a été demandé par la Slovaquie, mais n’a pas été suffisant pour régler le différend. La situation actuelle est bloquée. Un projet d’accord sur l’exécution du traité est toujours l’objet de négociations entre les deux parties.
Par cette affaire, l’on s’aperçoit des mécanismes juridiques en jeu, qui ont pour objectif de permettre aux États de se retirer d’un engagement conventionnel. Les mécanismes sont présents dans la Convention de Vienne, aux articles 54 et suivants. Ces articles traitent de l’extinction et de la suspension. L’extinction ou la suspension sont un acte de volonté d’un Etat menant à l’extinction d’un traité. Selon le principe de nullité ab initio, le traité est considéré comme n’avoir jamais existé dans l’ordre juridique, les effets du traité sont donc annulés. Les États peuvent demander le rétablissement du statu quo ante, et ont tout intérêt à le faire si le traité est contraire aux normes de jus cogens. Les États se déliant d’un engagement conventionnel se libèrent ainsi de leurs obligations. L’effet de l’extinction est définitif, à la différence de la suspension, et il est aussi non-rétroactif, à la différence de la nullité. L’extinction peut se produire du fait de la volonté des parties ou en dehors de celle-ci.
Dans ce devoir, nous nous concentrerons uniquement sur l’extinction, qui est la seule à traiter de la volonté d’un État de se délier de ses engagements conventionnels. En droit international, l’on remarque que c’est une mécanique de concertation qui est en vigueur. N’ayant pas besoin d’être motivée, la dénonciation se fait avec l’article 56. Dans la procédure, un État doit d’abord notifier sa prétention selon les modalités de l’article 65. Puis deux situations de réactions découlent de la notification : soit les États acceptent la demande à l’issue de négociations ; soit les États objectent la demande, et il en ressort la naissance d’un différend. Apparaît le problème de trouver un juge pour régler le litige, car le règlement des conflits suppose un accord entre Etat. L’article 33 de la Charte des Nations Unies dit que les États doivent chercher à régler leurs litiges, par des moyens pacifiques, de leurs choix, par exemple suite à des négociations diplomatiques, du choix de la juridiction ou de l’arbitrage ad hoc. En cas d’absence de compromis, l’article 66 de la Convention de Vienne impose une procédure de conciliation, ou une procédure obligatoire uniquement pour les litiges concernant le droit impératif. Le problème est clair : pour tout litige n’étant pas lié au jus cogens, le règlement risque de tourner en rond et ne jamais aboutir à une résolution du différend. De surcroît, la Convention de Vienne n’est qu’un droit supplétif, ce qui rend les situations encore plus complexes pour les États non signataires.
Les mécanismes permettant à un État de se délier de ses engagements conventionnels vous paraissent-ils satisfaisants ? Il convient de répondre par la négative tout au long du devoir. Certes, les États ont toutes les cartes en main pour se délier de leurs engagements conventionnels. Inscrites dans la Convention de Vienne, on présume que les mécanismes opèrent. Mais d’abord, nous souhaitons démontrer que ces mécanismes ne s’appliquent pas toujours dans la pratique. Ensuite, nous verrons qu’ils sont insatisfaisants pour les États, car ces derniers peuvent être condamnés à maintenir en vigueur des traités contre leur volonté.
Présentons d’abord l’existence de mécanisme qui ne permettent pas toujours aux États de se délier de leurs engagements conventionnels (I). Puis, il s’agira de présenter en quoi certains demandes d’extinction sont de toute façon vouées à l’échec. Dès lors, il nous faut surmonter proposer une solution pour donner la possibilité aux États de se défaire de leurs engagements internationaux, et cela sans risque d’aléa (II).
I. Des mécanismes censés délier les engagements conventionnels
Des mécanismes permettent aux États de se délier de leurs engagements conventionnels. Ceux-ci sont satisfaisants, à la condition que les parties les suivent scrupuleusement. D’abord, nous présenterons les hypothèses d’extinction du traité résultant du comportement 2 des parties (A). Puis, nous montrerons celles qui résultent de circonstances indépendantes à la volonté des parties (B).
A. L’extinction résultant de la violation substantielle d’un traité
L’effet de l’article 60 prévoit l’extinction du traité, en cas de violation substantielle d’une disposition essentielle pour qu’un traité ne s’exécute pas. En vertu d’un principe général de réciprocité, appelé inadimplenti non est adimplendum, une partie à un traité ne peut pas obliger son cocontractant, si la partie elle-même n'exécute pas ses obligations. En somme, c’est un principe corollaire à la sanction de la violation du principe de pacta sunt servanda. Cependant, la démonstration de la violation substantielle n’est pas aisée. De surcroît, beaucoup d’États violent les traités. La posture de non-dénonciation systématique des traités est adoptée par les États en vue de stabiliser les relations internationales.
S’agissant d’un traité bilatéral, il appartient à l’Etat violateur d’invoquer le motif. S’agissant d’un traité multilatéral, en cas d’invocation collective, il faut que de manière unanime, les États décident discrétionnairement de suspendre l’application d’un traité : soit ils décident de ne rien faire, auquel cas le silence vaut accord unanime. Soit ils peuvent suspendre le traité. Soit ils peuvent l’éteindre explicitement. En cas d’invocation individuelle, et c’est l’hypothèse la plus fréquente, l’extinction du traité ne vaudra qu’entre l’Etat subissant le préjudice et l’Etat qui viole le traité.
Un certain nombre de matière sont exclues du champ d’application de l’article 60, surtout pour les traités des droits de l’Homme. On ne peut donc pas appliquer l’article 56. Cependant, d’autres conventions comme la Convention européenne des droits de l’homme, prévoient eux-même leurs mécanismes de dénonciation, par exemple s’agissant de la torture en son article 22 . Cette hypothèse paraît satisfaisante au sens où un Etat ne se verrait nullement bloqué à remettre en cause un engagement conventionnel.
On a vu l’hypothèse d’extinction résultant de la violation substantielle d’un traité. Cependant, des situations démontrent le maintien en vigueur. À présent, faisons de même pour l’hypothèse d’extinction résultant d’évènements extérieures.
B. L’extinction résultant de changement fondamental de circonstances
L’extinction peut provenir de changement fondamental de circonstances, dont l’article 62 en prévoit les modalités. Les circonstances constituent la base essentielle des parties à être liées au traité. Fondamental, le changement rend difficile, voir impossible l’exécution du traité. Selon le principe rebus sic stantibus, les choses ne peuvent pas demeurer en l’état s’il survient un changement de circonstances. C’est dire que l’exécution du contrat ne peut pas être poursuivi, car l’élément déterminant du traité n’est plus respecté au point de transformer radicalement la portée des engagements à exécuter. Les parties se libèrent ainsi de leurs 1 NADI, MAGLIVERAS, Human Rights and the Denunciation of Treaties and Withdrawal from International Organisations, Polish Yearbook of International Law, 2013, pp. 103 3 obligations conventionnelles et on indemnise la partie qui s’est vue violer ses obligations conventionnelles. Par exemple, la CIJ juge dans l’affaire de la compétence en matière de pêcheries de 1973, que les changements de circonstances sont comme fondamentaux, car ils mettent en péril l’avenir des parties. Cependant, si le changement de circonstances est fondamental, une partie ne peut pas demander une extinction alors qu’elle a elle-même adoptée un comportement illicite. La CIJ en a jugé ainsi dans l’affaire du Projet Gabčíkovo-Nagymaros de 1997. De surcroît, n’importe quel changement de circonstances ne justifie pas un changement, car il en va de la stabilité des engagements internationaux, qui doit rester une ligne directrice. Dans l’affaire du Projet Gabčíkovo-Nagymaros, la CIJ a fait preuve de positivisme juridique, en refusant à la Hongrie l’extinction du traité de 1977, malgré les 5 motifs que la Hongrie a avancé. Elle retient que le traité reste en vigueur depuis sa date de conclusion. Par cette affaire, on voit que les mécanismes n’ont pas permis à la Hongrie de se délier de ses engagements et sont en cela insatisfaisants. La CIJ préfère maintenir les traités au détriment de la demande de la Hongrie, et lui impose même l’obligation d’agir de bonne foi .
Dans un premier temps, nous voulions montrer l'effectivité relative des dispositions de la Convention de Vienne, relative à l’extinction des traités. À présent, voyons dans une seconde partie que ces mécanismes peuvent faire obstacle à la demande d’un Etat souhaitant se délier de ses engagements conventionnels.
II. Des mécanismes rendant certaines tentatives de déliement avortées
Le non-respect des dispositions de la Convention de Vienne empêchent les États de se défaire de leurs engagements conventionnels. Pire, il y a des traités qui, quoiqu’il advienne, ne sauraient être dénoncés. C’est le cas notamment dans les situations de guerres (A). Pour apporter une solution aux problèmes exposés tout au long du devoir, il nous paraît pertinent d’envisager l’institution d’un tiers impartial, et son obligation de saisine, afin d’éviter toute situation de blocage (B).
A. L’hypothèse de la guerre : le maintien en vie d’un traité contre la volonté des États La guerre ne met pas fin à tout lien juridique entre les belligérants. Un conflit armé ne relève pas les États de leurs obligations. Si la Convention traite de cette matière, l’article 73 rappelle que ses dispositions “ne préjugent aucun question qui pourrait se poser à propos d’un traité du fait d’une succession d’États ou en raison de la responsabilité internationale d’un Etat ou de l’ouverture d’hostilités entre États”. Un conflit armée n’entraîne pas ipso facto l’extinction du traité pour des considérations de sécurité juridique, notamment à l’égard des tiers. Il s’agit de protéger l’intégrité des engagements internationaux. 2 CIJ, 1980, Avis relatif à l’interprétation de l’accord du 25 mars 1951 entre l’OMS et l’Egypte
Régit à l’article 61, la rupture des relations diplomatiques ou consulaires est en principe sans effet, exception faite si leur existence sont indispensables à l’application d’un traité. De surcroît, une partie ne peut pas se prévaloir d’une impossibilité d’exécution, si cette dernière a pour origine son comportement illicite même. On ne peut pas en effet invoquer sa propre turpitude. Dans l’affaire du Personnel diplomatique et consulaire à Téhéran (États-Unis d'Amérique contre Iran) de 1980, la CIJ juge que le traité d'amitié de commerce et de droit consulaire demeure en vigueur, malgré le contexte de prise d’otage. La CIJ rappelle l’importance fondamentale du droit diplomatique et consulaire : d’une part, s’agissant de l’interdiction d’adopter des contre-mesures autres que celles prévues par le droit , d’autre 3 part, l’absence d’exceptions opposables s’agissant des privilèges et immunités diplomatiques.
Après avoir vu que les mécanismes permettant à un État de se délier de ses engagements conventionnels étaient insatisfaits, il nous à présent présenter une solution. Il s’agit d’une proposition d’automatisation de la procédure d’extinction, laquelle serait garantie par l’intervention d’un tiers impartial. En tout cas, ce dernier garantirait les demandes d’extinction en soulevant d’office les violations des traités.
B. Une proposition face à l’insatisfaction des mécanismes : l’automatisation de la procédure d’extinction garantie par un tiers impartial
Aucune procédure d’établissement automatique n’existe pour assurer l’extinction d’un engagement conventionnel. En cela, c’est une source d’insatisfaction pour les États qui souhaiteraient de se délier de leurs engagements conventionnels. Une telle situation s’explique par l’inquiétude des États à se voir frapper de nullité leurs engagements conventionnels, ce qui risquerait de porter atteinte à la stabilité des engagements internationaux. L’article 54 précise bien que l’extinction d’un traité résulte soit des dispositions du traité, soit du consentement des parties. Le premier cas ne pose pas de problème, car l’aménagement de telles dispositions sont envisagées pour limiter les risques des dégâts dans l’hypothèse d’une extinction . Dans le second cas, le mécanisme s’avère 4 incertain, cas il repose sur le bon vouloir des États à enclencher une telle procédure.
C’est pourquoi avant de prononcer la nullité, les États entrent dans une phase de négociations. Or, le problème réside dans l’échec des négociations, comme en atteste l’affaire Gabčíkovo-Nagymaros de 1997. Aujourd'hui, par principe d’égalité souveraine et dans une logique de concertation, il n’existe aucun mécanisme central et international pour qu’une juridiction se prononce sur les motifs invoqués et tente de résoudre les conflits interétatiques. Au cours de leurs négociations, si la Hongrie et la Slovaquie ont sollicité l’aide de la Commission des Communautés européennes, les parties n’ont pas quand même pas réussi à trouver un compromis.
Faible, le mécanisme de concertation aboutit à des situations de blocages par la
mauvaise foi des États par manque de juridictionnalisation d’un système central. Il faudrait
4 Laurence R HELFER, Terminating Treaties, The Oxford Guide to Treaties, 1994, pp. 649
3 CDI, IIIe partie, chapitre II : Contre-mesures, Articles sur la responsabilité de l’Etat, 2001
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une organisation internationale, qui aurait autorité et imposerait de façon coercitive une ligne
de conduite aux États. Pour cela, le droit international gagnerait à s’inspirer du système de
l’OMC , lequel garantit lui-même l’encadrement, le contrôle et l’exécution des décisions. On 5
envisagerait alors une autorité impartiale qui identifierait les cas d’ouverture d’extinction
d’un engagement conventionnel et s’assurerait qu’elle ait bien lieu. Cela éviterait qu’on s’en
remette au bon vouloir des États et à des situations politiques . Une telle proposition 6
permettrait de réprimer l’illicéité des traités en droit international.