CDI, Principes directeurs applicables aux déclarations unilatérales des États susceptibles de créer des obligations juridiques, 2006
La Commission du droit international (CDI) a rendu un texte intitulé Principes directeurs applicables aux déclarations unilatérales des États susceptibles de créer des obligations juridiques, lequel a été soumis à l’Assemblée générale des Nations-Unies en 2006.
Portant sur les déclarations unilatérales (DU), et à la différence des traités, les DU sont l’expression de la volonté d’un seul sujet du droit international (DI), ayant pour but de faire connaître la position de ce sujet par rapport à une situation, une demande, un traité, une action d’un autre État, etc. Créateur d’effets de droit, les AU lient l’État auteur par des obligations. Leur très grand nombre implique, au sein de la jurisprudence et dans la pratique, leur contribution aux sources formelles, à la formation du DI. Les actes unilatéraux (AU) proviennent des organisations internationales (qu’on ne traitera pas dans ce devoir) ou de la manifestation de la souveraineté des États. Les types d’AU prennent une multitude de formes, comme un communiqué, une conférence de presse ou un discours, etc.
Dressant le constat de la situation internationale en 2006, la CDI a observé que le volume de ce type d’actes a considérablement augmenté depuis les quarante dernières années : il s’agit des « pseudos-actes » prenant leur base juridique dans un acte conventionnel, et, des « véritables AU » pris dans le cadre de la liberté d’agir de l’Etat en DI. Or, l’article 38 du Statut de la Cour Internationale de Justice (CIJ) n’en fait pas mention : la CIJ justifie cette situation par le fait que les AU tiendraient leur force juridique et leur existence des États eux-mêmes. Disposant ainsi de leur souveraineté, les États utilisent les AU pour défendre leurs intérêts subjectifs et exercer leurs propres droits. Allant à l’encontre de cette logique souverainiste, la CDI choisit d’œuvrer à la formalisation de principes directeurs applicables aux DU. Dès lors, la CDI propose une sorte de guide pratique pour les États, guide que ces derniers ont la liberté de suivre dans l’application des AU. Néanmoins, l’affirmation de la portée juridique des AU est bien corroborée par la pratique. Les principes directeurs applicables aux AU sont très souvent mis en œuvre en cas de contentieux internationaux.
Il convient de s’interroger sur la nécessité de formaliser l’identification des AU et les régimes des AU. Il faudra également mettre en évidence les faiblesses du texte de la CDI.
S’il faut observer, depuis quelques années, l’affirmation des AU des États en tant qu’instruments normatifs concernant les sujets du DI (I.), encore faut-il analyser les effets juridiques qui en découleraient (II.).
I. De la nécessité d’encadrer l’affirmation des actes unilatéraux en droit international
Il convient en premier lieu d’observer le recours croissant aux AU (A.). Ceux-ci font d’ailleurs l’objet d’un contrôle restrictif pour en déterminer la validité (B.).
A. Le recours croissant aux déclarations unilatérales par les États
La CDI a dégagé la définition des AU (1.) et le caractère obligatoire des AU (2.)
1. La conséquence de la formulation croissante des AU : la définition donnée par la CDI
En l’absence de mention dans l’article 38 du Statut la CIJ, la CIJ a jugé nécessaire de définir des AU stricto sensu au point 1. Le caractère obligatoire des AU se vérifie par l’intentionnalité de l’Etat auteur. Mais la CDI omet de distinguer les pseudos AU des véritables AU des Etats. Les AU peuvent produire de façon autonome leurs propres effets de droit. Cette définition est corrélatif de l’évolution du DI dans la dernière moitié du XXe siècle : les États recourent de plus en plus à ce type d’actes. Pour dégager une définition des actes, la CDI s’inspire de l'arrêt de la CIJ des Essais nucléaires , lequel identifie un AU « pur ». Il serait contraignant pour le pays. Il 1 vaudrait l’engagement de l’État. En pratique, les AU purs sont rares.
Ces AU répondent à certaines logiques. Par exemple, les intérêts transfrontaliers, qu’ils soient politiques, économiques ou d’une autre nature, appellent à nouer davantage de relations bilatérales. La valeur juridique de l’AU a d’ailleurs été reconnue pour un entretien entre le Ministre des Affaires étrangères danois et l’ambassadeur de la Norvège. Dans le cas d’espèce, la Déclaration Ihlen a permis de lier la Norvège. Quant aux AU émanant d’une collectivité d’États 2 et adressés à l’ensemble de la communauté internationale, ceux-ci sont régulièrement émis en clôture des sommets des non-alignés ou des chefs d’États des pays industrialisés.
2. La conséquence de la reconnaissance : le caractère obligatoire des AU
La reconnaissance a pour effet d’empêcher celui qui émet un AU de contester ultérieurement la validité de la situation. Il est reconnu au point 2, la capacité des Etats de s’engager par des actes par lesquels l’État assume unilatéralement des obligations juridiques. Cependant, doutons de l’effectivité d’un tel principe, qui ne peut s’appliquer de manière égale pour toutes les « nations civilisées » . Un tel principe, formulé de la sorte, omet d’affirmer que 3 chaque État ne saurait disposer de la même influence sur la scène internationale. Selon une approche positiviste volontariste classique, seules les grandes puissances seraient véritablement aptes à assumer pleinement leurs obligations juridiques, et, a contrario, les nations du tiers-monde ne seraient pas capables de les accomplir.
Si les États ont de plus en plus recours à ces actes, leur contenu doit faire l’objet d’un contrôle.
B. Une approche restrictive du contenu autorisé des actes unilatéraux
Les autorités compétentes (1.) et le contenu des AU (2.) font l’objet d’un contrôle restrictif.
1. L'exigence d’une autorité habilitée pouvant prendre des AU
Selon le principe dégagé dans le point 4, les AU doivent émaner des autorités exécutives (et législatives) compétentes ad hoc dans l’ordre interne : ce sont le chef de l’État, le chef du gouvernement, le Ministre des Affaires étrangères, mais aussi les agents plénipotentiaires comme les ministres techniques ou les directeurs de cabinet. La CDI retient une conception large de la compétence, qui déborde assez sensiblement de celle adoptée pour les traités . Ces distinctions 4 sont essentielles car, selon l’autorité habilitée, la déclaration n’aura pas la même portée symbolique pour le destinataire.
Diverses DU se manifestent en effet par ces autorités. Tel fut le cas de la déclaration faite par le Président français Giscard d’Estaing, qui, dans une lettre, avait demandé la suspension des 1 CIJ, 20 décembre 1974, Af aire des Essais nucléaires (Australie c. France ; Nouvelle-Zélande c. France) 2 CPJI, 5 avril 1933, Af aire du Statut juridique du Groenland oriental 3 Article 38 du Statut de la CIJ à son point c : La CIJ évoque expressément la notion de nation civilisée 4 23 mai 1969, Convention de Vienne sur le droit des traités 2 essais nucléaires . Prenant appui sur la déclaration, la Cour a rendu une solution habile, 5 considérant que les DU étaient une initiative unilatérale, et donc imputable à la France. Partant, les DU obligent la France elle-même vis-à-vis de la communauté internationale. De cette solution, on déduit une conception autonomiste des AU, indépendante de tout montage contractuel. Depuis, les États font davantage preuve de vigilance, car les Etats auteurs comprennent que leurs propres déclarations pourraient se retourner contre eux-mêmes en octroyant des droits à d’autres États.
2. Une approche restrictive quant au contenu autorisé des AU
Les critères concernant la forme des DU sont énoncés au point 5. En principe libre (généralement, ce sont des lois ou des décrets dans la pratique), leur forme n’est pas déterminante ni pour leur validité, ni pour leurs effets juridiques. Cependant, il est parfois exigé la condition de publicité. Tel fut le cas pour l’affaire des Activités armées sur le territoire du Congo . En l’espèce, une notification de retrait d’une réserve a été exigée pour les autres parties. 6
De plus l’engagement unilatéral d’un l’État peut se matérialiser par un faisceau de déclarations allant dans le même sens. Prises isolément, il n’est toutefois pas certain qu’on en tire les mêmes conclusions. Dans l’affaire des Essais nucléaires , la CIJ a pris en considération les 7 déclarations comme un ensemble formant un tout. En outre, dans l’affaire du Temple de Préah Vihéar , où la considération de forme avait peu d’importance. Pour montrer l’appartenance du 8 temple au Cambodge, la CIJ avança qu’un officiel colonial français avait hissé un drapeau, ce qui constituerait un AU. Or, en réalité, il s’agissait d’une visite archéologique. Si le juge a manipulé les faits, ce qui est questionnable du point de vue de l’équité, principe en théorie garanti dans tout procès , il reste que la forme ne sera pas décisive pour caractériser un AU. 9
Faut-il en déduire que l’exactitude des AU importe peu ? Une telle hypothèse nourrirait l’idée que les juges internationaux seraient en réalité partisans, bien loin de l’idéal d’équité souhaité. Partant, les juges seraient prêts à prendre des décisions dans le seul but d’atteindre non pas « la vérité » mais avant tout de concilier les intérêts des parties au litige, voire de ceux qui seraient étrangers à ce litige.
Les exigences matérielles sont énoncées au point 7. Il s’agit des exigences de clarté et de précision, exigences conditionnant la création des obligations juridiques pour l’État auteur. Il serait en effet préjudiciable pour les parties de se fonder sur des actes aux engagements flous, imprécis et prêtant à des quiproquos. En effet, un comportement isolé d’un Etat ne saurait obliger d’autres États. Une telle exigence s’inscrit dans l’effort de la CDI pour codifier le DI. L’arrêt des Activités armées sur le territoire du Congo fait expressément mention du contenu réel de 10 l’acte et des circonstances dans lesquelles il a été réalisé. Dans l’arrêt RDC c/ Rwanda, la CIJ rappelle qu’une DU ne peut comporter des obligations juridiques que si elle a un objet clair et précis.
Aussi, selon le point 7, en cas de doute pour déterminer la portée juridique d’un AU, le juge doit l'interpréter restrictivement, en tenant compte du contexte et des circonstances particulières. 5 CIJ, 20 décembre 1974, Af aire des Essais nucléaires (Australie c. France ; Nouvelle-Zélande c. France) 6 CIJ, 28 mai 2006, Af aires des Activités armées sur le territoire du Congo (RDC c/ Rwanda) 7 CIJ, 20 décembre 1974, Af aire des Essais nucléaires (Australie c. France ; Nouvelle-Zélande c. France) 8 CIJ, 26 mai 1961, Af aire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge c/ Thaïlande) 9 Cour EDH, 29 avril 1988, Af aire Belilos (Belilos c/ Suisse) : Il a été constaté la violation de l’article 6 §1 10 CIJ, 2002, Activités armées sur le territoire du Congo (RDC c/ Rwanda) 3 Il doit adopter une posture vigilante. C’est ce qu’il fait tout particulièrement dans l’affaire du Différend frontalier . En l’espèce, la DU n’avait pas eu de destinataire précis. 11
De par l’utilisation croissante des DU en DI, il parut nécessaire pour la CDI d’en attester leur existence. Il faut donc analyser les effets juridiques des AU eu égard à leurs destinataires.
II. Les effets juridiques découlant des AU à l’égard des autres États
Les AU ne voient le jour qu’à la condition d’être validés par la société internationale (A.). Il conviendra également de voir les effets opposables de ceux-ci (B.).
A. La portée juridique des actes unilatéraux eu égard à la société internationale
Cette exigence de reconnaissance doit provenir à la fois des États destinataires (1.) et du DI (2.).
1. L’intégration des AU dans un ensemble consensuel
Afin de déterminer le caractère obligatoire des AU, l’AU ne doit pas avoir subi de protestation. La protestation doit être suffisamment prompte, claire et constante après la survenance du fait considéré. Elle permet d’opposer à l’État destinataire les effets juridiques des AU. La validité d’un AU résulte de la concordance entre une offre ou une demande, d’une part, et son acceptation, d’autre part. Remarquons que la validité est conditionnée par les principes de la doctrine de l’Estoppel, selon laquelle une partie ne peut se prévaloir de prétentions contradictoires lorsque ce changement se produit au détriment d’un tiers. Cependant, l’on peut s’interroger sur la difficulté d’identification du caractère de bonne foi. Un État éprouvera de grandes difficultés à prouver la bonne foi de son adversaire au litige, laquelle est une notion subjective et psychologique. Par conséquent, il revient au juge d’en faire une interprétation personnelle à partir des indices, ce qui peut aboutir à des solutions diverses.
Au point 3, la CDI prend en compte les circonstances dans lesquelles un AU est parvenu à ses destinataires. Les conséquences juridiques d’un AU découlent de l’exigence fondamentale de stabilité des relations internationales. La CIJ, dans l’arrêt des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua , a tenu tout particulièrement compte des circonstances. Dans le 12 cas d’espèce, le plan de paix soumis par le gouvernement nicaraguayen au secrétariat de l’organisation des États américains n’était considéré que comme une simple déclaration ne comportant pas d’offre formelle. Elle a constitué une promesse . Cette hypothèse reviendrait à 13 affirmer la conception contractuelle des AU, excluant a contrario la conception autonomiste.
En présence d’AU « croisé », pour juger de la juridicité d’un acte, le juge doit aussi interpréter la réaction des autres États afin de déterminer la portée juridique des déclarations. Dans la crise du canal de Suez , l’Egypte a assumé avoir pris un engagement « sur le canal et les 14 arrangements concernant sa gestion ». Approuvé par les États, cet engagement est en vigueur aujourd’hui.
2. L’exigence de conformité objective eu égard au DI : l’affirmation du jus cogens
11 CIJ, 10 janvier 1986, Dif érend frontalier (Burkina Faso c/ République du Mali) 12 CIJ, 27 juin 1986, Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c/ États-Unis d’Amérique) 13 La doctrine a élaboré une théorie artificielle de la promesse unilatérale : la promesse unilatérale ne peut pas s’appliquer en l’absence d’acceptation favorables de l’offre des États destinataires 14 Déclaration du 24 avril 1957 de l’Egypte, DEHAUSSY (J), Annuaire français de droit international, 1960 4
Selon le point 8, la déclaration serait nulle si elle entrait en conflit avec une norme impérative. Considérant l’impérativité d’une norme faisant écho au principe de jus cogens , la 15 conformité des AU dépend des règles du DI. L’affaire Nottebohm traite d’un cas de pseudo AU 16 et l’arrêt montre que l’octroi de nationalité devait se conformer aux règles internationales. Dans le cas d’espèce, les effets de la déclaration n’ont été jugés que valables pour le Liechtenstein.
L’affirmation d’un tel principe porte à croire que la CDI ne voit aucun inconvénient à une hiérarchisation des sources en DI. Or, le texte de la CDI pourrait susciter de la résistance chez certains États, qui le jugeraient illégitime. Notamment par le fait que la Convention de Vienne n’a été adoptée que par 35 États. Les Etats verraient dans la tentative de la CDI une atteinte à leur droit de disposer des AU comme ils le souhaiteraient.
Si la société internationale reconnaît une valeur aux AU, il faut aussi analyser leurs effets.
B. Les conditions de l’opposabilité des actes unilatéraux aux États destinataires
Si une déclaration peut se voir opposable lorsqu’elle est consentie par les États (1.), il convient d’examiner les modalités empêchant sa rétractation arbitraire (2.).
1. L’exigence du consentement des États pour leur opposer les obligations juridiques de l’AU
S’agissant de leur portée juridique, les AU créent à la fois des obligations à l’égard de leurs auteurs et, de façon corrélative, peuvent être générateurs de droits pour les tiers sans nécessité d’attendre une quelconque réaction de la part des autres États. Au point 9, il est indiqué qu’un État ne peut se voir imposer des obligations sans son consentement explicite. L’absence de protestation pourrait valoir acquiescement : le silence pourrait donc valoir acceptation. La proclamation Truman de 1945 est un acte de droit interne qui est lié aux règles du droit coutumier et une prétention formulée par les États-Unis. Dans le cas d’espèce, le chef de l’État américain voulait imposer des obligations concernant la délimitation du plateau continental américain. Quelques années plus tard, les États visés par le Président Truman ont accepté l’AU. Cela témoigne du consentement différé des États à la proclamation Truman.
2. La portée de la sécurité juridique des AU : l’impossible rétractation arbitraire
La rédaction du point 10 résulte de la considération de la sécurité juridique des rapports internationaux. Il est difficile de penser qu’une rétraction serait en toute hypothèse irrévocable et immuable. Le juge tient compte du fait que le DI est en permanente mutation.
Conformément au point i), le juge fait l’examen précis des termes de la rétractation.
En outre, le juge doit s’intéresser à la valeur apportée par les États destinataires de cet acte s’ils le tiennent pour acquis (ii). Néanmoins, restant souverain en la matière, un État n’est pas lié ad vitam aeternam par ses obligations juridiques, quand bien même la DU n’aurait pas été circonstanciée dans la durée.
Enfin, le point iii) rappelle qu’un État peut modifier ou révoquer un AU si des
circonstances particulières le justifient. Les juges ne raisonnent pas in abstracto. Ils peuvent par
exemple tenir compte du contexte politique qui justifierait le retrait d’un AU. Tenir compte de
ces trois conditions permettra d’assurer la sécurité juridique et la stabilité du système du droit
international public.
15 Article 53, 23 mai 1969, Convention de Vienne sur le droit des traités
16 CIJ, 18 novembre 1055, Af aire Nottebohm (Guatemala c/ Liechtenstein)