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Arrêt du Conseil d'État, 4 décembre 2019, n°434359

​La présente décision du Conseil d’Etat du 4 décembre 2019, n°434359, est relative aux plus-values de cession de valeurs mobilières. Issues de la loi du 30 décembre 2017 de financement de la sécurité sociale pour 2018, des dispositions applicables à la contribution sociale généralisée (CSG) due en 2018 au titre de l’année 2017 en modifient leur taux. Le rehaussement de 1,7 point du taux de la CSG par la loi contestée a fait naître divers contentieux. Cette contestation a été soutenue par des contribuables mécontents d’être assujettis à un supplément d’imposition à raison des plus-values de cession de valeurs mobilières réalisées au cours de l’année 2017.  

        Au considérant 2, il est indiqué que la loi du 30 décembre 2017 de financement de la sécurité sociale pour 2019, concernant la contribution des revenus du patrimoine assise sur le montant net de l’impôt sur le revenu, a porté le taux de CSG de 8,2% à 9,9% pour les personnes physiques fiscalement domiciliées en France, à l’exception de ceux ayant déjà supportés la contribution au titre des articles L. 136-3, L. 136-4 et L. 136-7 : les plus-values, gains en capital et profits soumis à l’impôt sur le revenu. Autrement dit, d’après les conclusions de l’arrêt, « la hausse de taux prévue par ces dispositions ne trouvent pas à s’appliquer aux plus-values placées obligatoirement en report d’imposition en application de l’article 150-0 B ter du CGI. C’est précisément ce dernier point qui est contesté par la requérante.  

        S’agissant de la procédure, Mme A… B… a demandé de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du 3° du V.-A de l’article 8 de la loi n°2017-1836 du 30 décembre 2017 de financement de la sécurité sociale pour 2018. Au considérant 1, il est rappelé la triple condition de la QPC. En l’espèce, les deux premières conditions de la QPC portant sur l’applicabilité d’une disposition contestée à un litige ou à une procédure, ainsi que celle relative à la déclaration de sa conformité à la Constitution ou non, ne posent guère de difficultés. Elles sont en effet bien applicables au litige. Cependant, c’est la troisième condition relative au caractère sérieux qui aura été examiné par le Conseil d’Etat. 

        La requérante développe trois moyens. Le premier moyen est relatif à la notion de petite-rétroactivité que conteste la requérante. Les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteur public, nous indique « qu’aucune règle constitutionnelle n’en imposait le maintien et la requérante ne pouvait légitimement s’attendre à ce que lui soit appliqué le taux en vigueur à la date de la cession, alors que si le transfert de propriété constitue le fait générateur de la plus-value, le fait générateur de l’imposition de la plus-value se situe au 31 décembre de l’année de réalisation du revenu ». La requérante semble contester le traitement favorable que la loi du 30 décembre 2017 accorderait à certaines personnes physiques visés par les articles L. 136-3, L. 136-4 et L. 136-7 du code général des impôts (CGI). Ces personnes physiques sont mentionnées au considérant 2. « Sans contester la petite rétroactivité, le requérant soutenait qu’elle ne s’appliquait pas aux plus-values puisque le fait générateur de leur imposition était fixé à la date de cession des titres. De plus, tel qu’il est indiqué dans les conclusions, la requérante soutient que les dispositions de la loi de 2017 portent atteinte aux exigences de l’article 16 de la DDHC « dès lors qu’elles rendent applicable à des cessions réalisées au cours de l’année 2017, antérieurement à leur entrée en vigueur, la hausse de la CSG de 1,7 point prévue par le b du 6° du I de l’article 8 de cette loi ».  

Le deuxième moyen invoqué par la requérante est relatif au principe d’égalité devant la loi fiscale et les charges publiques. La requérante soutenait que les dispositions issues de la loi de 2017 portaient atteinte aux articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC) de 1789. En effet, selon Mme A… B… « les personnes ayant cédé en 2017 des valeurs mobilières qui ne sont pas en report d’imposition se verront appliquer le nouveau taux, alors que les plus-values d’apport de titre à une société contrôlée par l’apporteur, placées en report d’imposition obligatoire en application de l’article 150-0 B ter du CGI, restent soumises au taux en vigueur à la date de leur réalisation, conformément à la loi de finances rectificatives ». Et cela, selon la requérante, contreviendrait au principe d’égalité devant la loi fiscale. 

        Arrêt relatif à la notion de non-rétroactivité, la question qui est donc soumise au Conseil d’Etat est celle de savoir si les dispositions de la loi du 30 décembre 2017 porteraient atteinte aux articles 6 et 13 de la DDHC. Posons les questions suivantes : la loi du 30 décembre 2017 méconnaît-elle le principe d’égalité devant la loi et le principe d’égalité devant les charges publiques ? Et plus précisément concernant le cas d’espèce, une QPC peut-elle être formulée s’agissant de l’imposition des plus-values en report obligatoire selon les taux historiques des prélèvements sociaux ?  

        La requérante s’est vue rejeter sa requête. Comme il est indiqué au considérant 10, il a été conclu qu’il n’y a pas lieu de renvoyer la QPC devant le Conseil constitutionnel. De cet arrêt, il est rappelé que le législateur a bien compétence pour modifier une disposition législative à tout moment, tout en veillant à ne pas porter atteinte au principe d’égalité devant l’impôt. Donc, la loi du 30 décembre 2017 a bien été adoptée en respectant les articles 6 et 13 de la DDHC.  

        La présente décision rappelle que le législateur dispose d’une faculté de modifier la loi fiscale à tout moment, mais dans le respect des garanties légales (§1). A cet égard, il faut relever que la loi du 30 décembre 2017 a été prise, certes contre l’intérêt de la requérante, mais qu’elle a été faite dans le respect du principe d’égalité. La loi étant fondée, le Conseil d’Etat est légitime pour justifier le rejet de la demande de la QPC (§2).  


§1. Un arrêt rappelant la compétence légitime du législateur de modifier des dispositions législatives à tout moment, mais dans le respect des garanties légales 

       La présente loi a pour conséquence de modifier la situation de personnes assujetties à une contribution sur les revenus du patrimoine assise sur le montant net retenu pour l’établissement de l’impôt sur le revenu. Ainsi, la loi admet en principe la petite rétroactivité pour l’ensemble des contribuables. Cependant, il est fait mention d’exceptions. D’abord, il s’agira de montrer en quoi il a été admis la non-rétroactivité de la loi fiscale pour ceux visés aux articles L. 163-3, L. 136-4 et L. 136-7 (A). Puis, il s’agira de montrer que la loi de 2017 ne porte ni atteinte à la Constitution, ni à l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi (B). 


A. Une loi mettant en œuvre la non-rétroactivité seulement pour les personnes physiques visées par les articles L. 136-3 et suivants 


        Le présent arrêt rappelle que la petite rétroactivité pouvait aussi s’appliquer aux plus-values. La requérante soutenait que la petite rétroactivité ne s’appliquait pas aux plus-values puisque le fait générateur de leur imposition était fixé à la date de cession des titres. A cet égard, le Conseil d’Etat conteste l’argumentaire de la requérante. En effet, le rapporteur public commente au sujet du considérant 6 que « le fait générateur de la plus-value sert à déterminer l’année d’imposition, et non le taux d’imposition, dont le fait générateur se situe au 31 décembre de la même année », analyse que l’on pouvait déjà faire dans un arrêt du CE du 10 février 2017, n°386221. 

        Plus précisément, le considérant 3 fait mention que les plus-values mentionnées au I de l’article 150-0 B ter du CGI sont les plus-values en report obligatoire d’imposition ». Ici, c’est le terme obligatoire qui nous intéressera. Il peut paraître étonnant que le législateur décider de rendre un mécanisme contraignant. Nous avançons l’hypothèse que le législateur le fait en vue de protéger des contribuables plus faibles. En effet, ces contribuables pourraient légitimement avoir l’espérance d’être imposés non seulement selon les règles d’assiette applicables au moment de la plus-value placée en report d’imposition, mais aussi selon les taux en vigueur à cette date. Ainsi, pour des considérations de sécurité juridique, la loi protégerait certains contribuables en leur maintenant le taux de 8,2%. Certes, une telle loi contrevient à l’article 2 du Code civil. Mais en appliquant le report d’imposition obligatoire et en assurant l’application du taux forfaitaire sans abattement est assurée, le législateur a la volonté de garantir des situations légalement acquises pour certains contribuables. L’ajout de la mention du caractère obligatoire doit s’analyser comme le fait de mettre in fine sur un même pied d’égalité certains contribuables. Mais nous contestons cette idée d’égalité, car il y aurait un traitement différencié entre les contribuables. Une telle loi prévoyant une telle exception a en réalité pour conséquences de favoriser certains contribuables, que l’on pourrait qualifier de capitalistes.   

        

        Il a été vu que l’on pouvait admettre la non-rétroactivité dans certaines hypothèses. A présent, il s’agira de voir en quoi la loi ne porte ni atteinte à l’article 16 de la DDHC, ni à l’OVC d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi.  


B. Une loi ne portant ni atteinte aux garanties des droits mentionnés à l’article 16 de la Constitution, ni à l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité 

        Certes, nous allons voir que le législateur a une grande marge de liberté lorsqu’il adopte des lois. Mais il conviendra dans cette partie de rappeler que le législateur reste sous soumis à des principes limitant sa liberté.  

        D’une part, la présente décision nous rappelle que le législateur dispose « d’une plus grande latitude que dans d’autres domaines ». C’est l’article 34 de la Constitution qui attribue la compétence du législateur s’agissant du caractère légal de l’imposition. Et pour le cas d’espèce, il s’avère bien « [qu’]il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier les textes antérieurs ou d’abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d’autres dispositions ». Le contribuable peut donc difficilement contester un tel changement. Il ne doit pas tenir pour acquis une loi. Une décision du Conseil constitutionnel du 27 juillet 1982, Loi portant réforme de la planification, avait déjà évoqué le pouvoir du législateur de modifier une loi à tout moment. Cela nous fait rappeler la théorie du parallélisme des compétences, qui permettrait au législateur de modifier des lois. De plus, le rapporteur public mentionne que « le report s’applique de plein droit dès lors que sont satisfaites les conditions fixées par la loi ». Le législateur a respecté ces conditions pour l’adoption de la loi de 2017.  

        D’autre part, au considérant 9, le Conseil d’Etat admet que l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi est bien respecté par le législateur. A cet égard, la jurisprudence est constante. Déjà en 2010 à l’appui d’une QPC, il était rappelé que la méconnaissance de cet OVC découlant des articles 4, 5, 6 et 16 de la DDHC ne pouvait être utilement invoqué. Nous avançons l’hypothèse que, si la loi de 2017 modifie la situation de certains contribuables, elle ne modifie pas celle des autres. Parce que la loi n’aggrave pas la situation de la requérante, elle ne serait pas légitime à contester les exceptions prévues. Il n’est pas porté atteinte aux situations légalement acquises de la requérante. Mais nous concédons qu’il s’agirait d’un raisonnement quelque peu limite. La requérante serait légitime à contester un tel traitement de différence.  


        Il a été vu que les personnes physiques visés par la loi de 2017 étaient traitées différemment. Le Conseil d’Etat rappelle que la loi de 2017 respecte tout de même le principe d’égalité. Au lieu d’appliquer une égalité formelle, il rappelle que le législateur est fondé à adopter la loi de 2017 au prisme d’une égalité dite « réelle », c’est-à-dire prenant en compte la situation personnelle des contribuables visés par les exceptions de la loi.


§2. Le caractère légitime de la loi de 2017 par son respect du principe d’égalité des contribuables devant la loi fiscale 

        D’une part, le Conseil d’Etat rappelle que la loi de 2017 peut traiter de manière différente deux situations différentes dès que l’objectif de proportionnalité est respecté (A). D’autre part, le Conseil d’Etat a rejeté l’analyse soulevée par la requérante du caractère discriminatoire par ricochet de la loi de 2017 (B). 


A. Une loi relative à des contribuables titulaires de mêmes revenus, mais placés dans deux situations différentes : l’application de l’égalité réelle 

        La requérante estimait « être dans une situation comparable à celle des titulaires de plus-values placées de plein droit en report d’imposition ». C’est un motif rejeté par le Conseil d’Etat pour plusieurs raisons. 

        D’une part, le Conseil d’Etat tient à rappeler que les contribuables visés par les exceptions de la loi de 2017 sont dans des situations différentes, et que cela est tout à fait légitime. L’on peut à cet égard se souvenir de l’arrêt du Conseil d’Etat Denoyez et Chorques du 10 mai 1974 qui autorise des discriminations : deux situations différentes peuvent amener à deux traitements différents. Cet argument du Conseil d’Etat est appuyé par la requérante elle-même, involontairement sûrement, car elle a admis que sa situation différait « au regard de la capacité de l’opération effectuée à dégager immédiatement des liquidités ». 

        D’autre part, le rapporteur public soutient la thèse que ce traitement est justifié, car le contribuable qui réalise une plus-value prend des risques. Le contribuable est « supposé avoir accepté les conséquences qui s’y attachent, notamment le risque que la taxe augmente d’ici la fin d’année de réalisation de la cession ». Le législateur entend mettre fin à cette solution en gelant le taux de 8,2% pour des considérations de sécurité juridique. Cette loi prévoyant une discrimination a été validée. En effet, « la différence de traitement est en rapport direct avec l’objet de la loi […] et est fondée sur des critères objectifs et rationnels ». Le contrôle de proportionnalité a été mis en œuvre et aucune irrégularité n’a pu être constatée. 

        Cette loi met en lumière la prise en compte par le législateur des facultés des contribuables. Ce fondement provient de l’article 13 de la DDHC. Il faut analyser ici le fait que l’égalité formelle est écartée : l’ensemble des contribuables ne sont pas traités de la même manière. Au contraire, il est mis en œuvre une égalité que la doctrine qualifie de « réelle », c’est-à-dire admettant certaines discriminations, mais en vue d’établir une situation égale, une équité. Certes, il n’est pas rappelé dans notre décision les justifications de la loi de 2017. Mais nous pouvons au moins supposer qu’elle a été prise dans un motif d’intérêt général suffisant, formule que l’on retrouvait de la décision du Conseil constitutionnel du 18 décembre 1988, Loi de financement de la sécurité sociale.  


        Il a été vu que la loi prenait en compte le fait que les contribuables visés de manière générale par la loi de 2017 et ceux visés par ses exceptions sont placés dans deux situations différentes. En cela, le législateur est ainsi fondé à prendre une loi régissant différemment les contribuables. A présent, il s’agira de voir en quoi la requérante n’a pas été sujette à un traitement injustifié. En effet, le Conseil d’Etat a admis le caractère discriminatoire par ricochet de la loi de 2017. 


B. Le motif du caractère discriminatoire « par ricochet » soulevé par la requérante injustifiée

        La requérante soutient le fait que l’existence d’une discrimination « par ricochet » serait injustifiée, « en raison du traitement fiscal défavorable dont ferait l’objet l’imposition des plus-values de cession par rapport à l’imposition des plus-values d’échanges de titres ». 

        Or, le Conseil d’Etat rejette cet argument, au motif que le mémoire de la QPC était imprécis. En effet, l’argument faisant mention d’une « inégalité de traitement entre les revenus de placement et les revenus du patrimoine » étaient imprécis. 

        Mais c’est d’autant plus dommage pour la requérante, car le rapporteur public fait mention qu’une telle question juridique, relative au caractère discriminatoire « par ricochet », allait bientôt faire l’objet d’une autre QPC. Il a été retenu le caractère sérieux pour « examiner le caractère sérieux du moyen tiré de l’existence d’une « discrimination à rebours » dans le cadre de la nouvelle QPC formée dans les affaires qui sont à l’origine de la CJUE ». Dans notre arrêt, le Conseil d’Etat aurait pu faire preuve d’opportunisme et retenir les motifs de la requérante pour saisir le Conseil constitutionnel. De toute façon, il est à parier que le Conseil constitutionnel ait rendu le même avis que le Conseil d’Etat. 

          Par le passé, une décision proche de notre présente décision a déjà dû juger de traitement différent. Il s’agit de la Conseil constitutionnel de 1990, Loi de finances pour 1991 où le Conseil a justifié que lors de la création de la CSG, les contributions concernant respectivement les revenus de patrimoine et les produits de placement constituaient deux impositions distinctes. Peut-être que la demande de QPC de la requérante aurait pu être acceptée si elle l’avait davantage motivée…  

        La jurisprudence témoigne que cela aurait été tout à fait possible. En effet, afin d’appliquer le principe d’égalité devant l’impôt, « la situation des redevables s’apprécie au regard de chaque imposition prise isolément ». Par exemple, cela a déjà été fait dans une QPC du 17 septembre 2010, Association sportive Football Club de Metz.

Finances publiques, 2 questions