I. La prospective d’une ré-industrialisation inédite et inéluctable au niveau mondial
A. La ré-industrialisation, une opportunité pour l’économie française de s’adapter aux mutations du monde
1. Vers une troisième forme de ré-industrialisation de l’économie française ?
2. Une ré-industrialisation de l’économie française menée grâce à un protectionnisme modéré
B. Des effets indéterminés de la ré-industrialisation sur l’économie française
1. Un enrichissement global certain de l’économie française
2. … mais une ré-industrialisation source d’inégalités pour certains agents économiques
II. Une nécessité de mener une politique industrielle stratégique impulsée par l’État à l’aune d’une éventuelle ré-industrialisation des autres économies
A. Quel degré d’intervention de la puissance publique dans l’économie française ?
1. Une conception faiblement interventionniste de la ré-industrialisation : une priorité accordée au soutien des entreprises
2. Une conception hautement interventionniste de la ré-industrialisation : un encadrement plus rigide et coercitif de l’économie française
B. Une adaptation nécessaire de la politique industrielle française au regard des contraintes internationales
1. L’enjeu d’une clarification d’une politique industrielle européenne
2. De la nécessité de privilégier une approche coopérative et multilatérale internationale
Fin mars 2020, le Président de la République Emmanuel Macron déclarait : « Il nous faut retrouver la force morale et la volonté pour produire davantage en France et retrouver cette indépendance. » Dans la continuité de son discours politique, il poursuivit en août dernier, au moment d’inaugurer le laboratoire pharmaceutique Sequens, en assurant que : « Nous devons relocaliser et recréer des forces de production sur nos territoires. » L’idée de la ré-industrialisation française a véritablement refait surface avec la crise de la COVID-19, y compris parmi les libéraux. En effet, avec un fort niveau de dépendance de l’économie française, et de son niveau d’approvisionnement, la crise sanitaire a mis en lumière la fragilité du tissu industriel français. La crise de la COVID-19 aura au moins eu le mérite de faire prendre conscience de l’impact de la dé-industrialisation sur l’économie française.
Crise structurelle, la dé-industrialisation peut s’entendre comme la place décroissante du secteur secondaire dans les pays développés à économie de marché. Une économie doit s’entendre comme la situation économique conjoncturelle et structurelle d’un pays. Selon l’économiste Colin Clark, elle peut être divisée en trois secteurs : primaire, secondaire et tertiaire. Historiquement, l’industrialisation de la France s’est étalée du XIIIe au XXe siècles. À plusieurs époques, l’économie française aura connu des industrialisations. Au départ, sous Napoléon III, la France rurale s’est rapidement industrialisée avec l’agrandissement des villes, et la création d’infrastructures de transports, d’entreprises et des banques. Mais depuis les années 1970, l’économie française aura connu un fort mouvement de dé-industrialisation. En effet, le poids de l’industrie française dans la richesse nationale a été divisé par deux. Le processus de dé-industrialisation est lié à l’ouverture de nouveaux marchés et espaces de production, lesquels ont conduit à une mutation de la géographie mondiale de la production industrielle. Aussi, la dé-industrialisation peut conjoncturellement résulter de la hausse des coûts des matières premières et de l’énergie, ou de crises, telles que les chocs pétroliers des années 1970. Il en résulte des conséquences néfastes sur l’économie française. Elle sera frappée par la perte de savoir-faire spécifiques, comme dans le textile ou la métallurgie, par un déficit des balances commerciales, alors que le secteur industriel est plus exportateur que le secteur tertiaire, ou encore par des millions de pertes d’emplois provoquées par les délocalisations à l’étranger. Selon une étude d'Ernst and Young (« Grandir en Europe », 2008), si la France manque d’entreprises de taille intermédiaire (ETI) par rapport à l’Allemagne, sa situation économique est encore plus alarmante concernant le déclin de ses très grandes entreprises de plus de 5000 salariés. Par ailleurs, selon une étude de l’INSEE, 80% des médicaments et du textile sont importés, traduisant le fort niveau de dépendance de l’économie française. Or, le déclin industriel n’étant en rien une fatalité, de nouvelles opportunités s’offrent aujourd’hui à l’économie française. Se définissant comme l’ensemble des politiques économiques mises en place, la politique française actuelle de ré-industrialisation correspond à des objectifs de pérennisation, à long terme, de l’emploi industriel, à l’augmentation significative de la production industrielle et à la redynamisation des territoires français. Alors, si la ré-industrialisation semble être une opportunité pour l'économie française, encore faudrait-il ne pas nier ses difficultés, et, par voie de conséquence, déterminer comment la mener efficacement. Or, une des difficultés réside en ce qu’elle devra être réalisée dans une conjoncture économique bien différente que lors des autres révolutions industrielles. Face à la dé-industrialisation cependant, si certains voient la ré-industrialisation comme une nouvelle révolution industrielle inédite, pour d’autres, comme l’économiste Rondo Cameron, l’expression de « révolution industrielle » serait mal choisie. Il s’agirait plutôt d’une évolution temporelle et géographique logique, résultat de bouleversements majeurs. De surcroît, rien ne garantit assurément une ré-industrialisation efficace et bénéfique pour l’économie française. Pour l’heure, il n’existe aucun consensus quant à l’efficacité d’une ré-industrialisation, parmi les économistes. La question industrielle reste avant tout un choix de politique économique et constitue en cela un véritable débat.
En dépit des obstacles qui risquent de se poser à elle, la France serait gagnante à mener une politique économique de ré-industrialisation. Si ses apports semblent globalement positifs, le thème de la renaissance industrielle, présenté comme une solution simple à tous nos maux économiques, pourrait tout aussi bien n’être qu’un simple slogan électoral et populiste. Opportunité pour la France, s’il est clair que la reconquête industrielle se heurterera à des obstacles, en quoi la ré-industrialisation pourrait malgré tout s'imposer à l’économie française, tant elle apparaît attractive ?
Phénomène qui risque de se généraliser au niveau mondial, l’hypothèse d’une ré-industrialisation de l’économie française se profile et semble louable (I). Séduisante, elle mériterait toutefois un encadrement spécifique, notamment par les divers agents économiques du marché (II).
I. La prospective d’une ré-industrialisation inédite et inéluctable au niveau mondial
Opportunité française pour s’adapter aux mutations du monde, la ré-industrialisation doit être envisagée sur le long terme (A). En cela, le recours au protectionnisme se devra d’être modéré (2) pour accompagner cette ré-industrialisation, s’apparentant potentiellement à une forme de troisième forme de révolution industrielle (1). Toutefois, une potentielle ré-industrialisation française présente des effets indéterminés (B). De ce fait, l’on comprend alors que si une ré-industrialisation apparaît bénéfique pour l’économie française (1), elle devra toutefois être accompagnée de mécanismes correctifs pour réduire les inégalités économiques (2).
A. La ré-industrialisation, une opportunité pour l’économie française de s’adapter aux mutations du monde
1. Vers une troisième forme de ré-industrialisation de l’économie française ?
Certaines analyses, comme celle de l’historien Patrick Verley dans la Première révolution industrielle, parue en 1999, ont considéré la première révolution industrielle comme une révolution technologique. Aujourd’hui, la perspective d’une potentielle ré-industrialisation prendra une tournure similaire, quoique substantiellement nouvelle. L’on assiste ainsi à une « troisième industrialisation », démarrée à la fin du XXe siècle. Pour l’économiste Jeremy Rifkin, elle se distinguerait des secteurs d’activité classiques de la production. Elle se déclinerait par le développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication, et par de nouvelles sources d’énergies et de transport. Pour Jeremy Rifkin, la troisième révolution industrielle désigne ainsi une vision et un projet à réaliser. Alors que pour l’historien François Caron, elle rend compte d’un fait historique en cours. Qu’importe ces querelles terminologiques, selon l’universitaire Anaïs Voy-Gillis, la ré-industrialisation sous-tend des efforts de la part de l’ensemble des acteurs, allant de la définition d’une stratégie industrielle par l’État français, à la modernisation des sites de production industriels, en passant par l’investissement important dans l’innovation technologique. Innovation qui pourra se matérialiser, par exemple, par l’introduction d’un nouveau bien, par l’invention de nouvelles méthodes de production, par une réorganisation des services et pratiques, ou encore par une meilleure approche en matière de marketing.
Présentant des effets positifs et inédits, cette troisième forme de ré-industrialisation constitue une opportunité au regard de l’épuisement des réserves pétrolières. Ainsi, elle aurait l'avantage de limiter les effets du changement climatique. Opportunité considérable pour l’écologie, la production « made in France » diminuerait les coûts de pollution qu’engendrent les importations faites depuis l’autre bout du monde. De surcroît, cette révolution pourrait pleinement s’inscrire dans le cadre d’une politique de développement durable. Pour l’économiste Gabriel Colletis, la ré-industrialisation serait compatible avec l’écologie, mais à la condition que l’économie française produise différemment. Plus globalement, elle permettrait de lutter contre les inégalités consécutives à la mondialisation. Précisément, l’économie française pourrait retrouver les emplois perdus à la suite des délocalisations. Aussi, la France pourrait gagner à s’inspirer des ambitions des autres États-nations. Par exemple, comme l’a fait le Président Barack Obama lors de sa dernière élection : sujet électoral séduisant pour les swing States (les États indécis au moment du vote) concernés par la question industrielle, le candidat avait alors développé un argumentaire visant à promouvoir la ré-industrialisation des États-Unis.
Cependant, pour l’économiste Hélène Tordjman, cette troisième révolution industrielle annoncée par Jeremy Rifkin n’aura pas lieu. D’après l’économiste, la ré-industrialisation ne prendrait pas en compte les rapports de pouvoir, ainsi que les modes de fonctionnement des « macrosystèmes », comme les enjeux de l’autonomie des techniques et des techno-sciences. À cet égard, la Banque de France souligne dans son étude de 2017 que la dé-industrialisation française résulte d’un manque de progrès technique, ainsi que des évolutions de la structure globale, en se référant à la loi d’Engel de 1857, démontrant que la demande globale est supérieure à 1 au regard de l'élasticité-revenu de la demande de service. De surcroît, cette forme de capitalisme immatériel continuerait à provoquer des dégâts écologiques considérables. Le cas de la ré-industrialisation amorcée par le Président Trump est particulièrement révélateur. Par exemple, en promouvant la production et l’exportation du pétrole et du gaz de schiste, les Etats-Unis sont devenus les premiers producteurs mondiaux de gaz naturel.
Ainsi, l’hypothèse d’une troisième révolution industrielle est tantôt bénéfique, tantôt inégalitaire. Intuitivement, l’on pourrait croire que sa mise en œuvre nécessite des mesures protectionnistes. Pourtant, en vue de ne pas reproduire les erreurs du passé, le protectionnisme mené par la France devrait être employé avec prudence.
2. Une ré-industrialisation de l’économie française menée grâce à un protectionnisme modéré
Avec l’accentuation de la mondialisation, l’économie française est devenue dépendante des autres économies. Par exemple, selon une étude du Centre d’études prospectives et internationales de 2015, la dépendance de la production française à l’égard de la Chine a été multipliée par dix environ entre 1995 et 2014. Mise en lumière par la crise de la COVID-19, cette dépendance, qui révèle les failles d’un modèle libre-échangiste, est désormais sous le feu des critiques.
En réponse à cette crise, la ré-industrialisation semble à première vue présenter de nombreux avantages. Elle impliquerait nécessairement une part de protectionnisme, c’est-à-dire l’ensemble des mesures qui visent à protéger la production d’un pays contre la concurrence étrangère. Selon l’économiste Nicholas Kaldor, le protectionnisme permettrait de protéger les emplois. Pour le prix Nobel de 1988 Maurice Allais, il permettrait d’éviter le chômage, resté supérieur à 8% en France depuis 1985, la baisse des salaires des moins qualifiés, ou encore de lutter contre les pratiques du dumping, voire du dumping social.
Toutefois, la ré-industrialisation ne devrait pas se traduire par un retour au protectionnisme. De manière radicale, le président de la République François Mitterrand déclarait en 1995 devant le Parlement européen que : « Le nationalisme, c’est la guerre ! ». Outre les aspects politiques de son discours, il s’agissait aussi d’une mise en garde sur les velléités nationalistes visant le rétablissement des frontières économiques. S’il est dangereux de vouloir les supprimer, il l’est d’autant plus d’en réclamer leur rétablissement imperméable. En effet, par le passé, le protectionnisme offensif aura exacerbé les égoïsmes des États-nations. Dans L’échelle du monde. Essai sur l’industrialisation de l’Occident, paru en 1997, l’historien Patrick Verley a expliqué le déclin de l’industrialisation du Pays-Bas par les nombreuses guerres qui les auront touchées. Ces égoïsmes nationaux se sont retranscrits dans les années 1930, par la majoration des droits de douane, par la dépréciation des monnaies, ou encore le contingentement de certains types d’importations. Même des sanctions économiques, a priori inoffensives, peuvent révéler des sentiments de rancœur. Tel a été le cas lorsque les États-Unis ont mis en place en 1941 un embargo général sur les exportations de pétrole et des matières premières du Japon, sanction qui aura « légitimité » leur entrée en guerre. Indéniablement, ces choix de politique économique auront créé un climat favorable au déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. En tout état de cause, les rapports de force sont considérables dans une économie mondialisée. Disposant de leviers de pression, seules les premières puissances industrielles pourraient en principe se permettre de faire pression sans encourir de risques. C’est ce que font couramment les États-Unis. Mais même la ré-industrialisation sous la mandature de Donald Trump aura présenté ses limites. En effet, la ré-industrialisation américaine a généré une guerre commerciale avec la Chine. Au lieu d’adopter une attitude plus conciliante avec les Chinois, s’en est suivi une forte augmentation des taxes douanières entre les deux premières puissances économiques mondiales. De manière globale, les effets d’une ré-industrialisation via un protectionnisme trop offensif génèrent, par ricochet, maintes retombées négatives à l’égard de l’économie mondiale, et, in fine, à l’économie française.
C’est pourquoi le protectionnisme devra être appliqué à la fois de manière modérée et temporaire. À cet égard, afin de ré-industrialiser une économie, l’économiste Friedrich List préconisait comme manière de faire de recourir à un « protectionnisme éducateur ». Pour le cas de l’économie française, l’idée serait de défendre ses nouvelles industries naissantes, face à d’autres déjà solidement installées sur le marché, comme celles des États-Unis ou de la Chine. Ainsi, l’application d’un protectionnisme éducateur permettrait de développer un avantage comparatif comme le préconisait David Ricardo, c’est-à-dire une spécialisation d’une économie dans un domaine particulier.
La ré-industrialisation peut constituer être une opportunité pour l’économie française, en ce sens que, si la France mène stratégiquement sa politique économique, alors elle serait en mesure de s'adapter aux mutations du monde. Il reste que les effets bénéfiques d’une ré-industrialisation, si tant est qu’ils existent, risquent cependant d’être répartis inégalement dans la sphère économique française.
B. Des effets indéterminés de la ré-industrialisation sur l’économie française
1. Un enrichissement global certain de l’économie française…
Du point de vue de l’offre, plusieurs aspects macroéconomiques positifs pourraient être anticipés. Premièrement, la ré-industrialisation pourrait se réaliser en vertu de la théorie des avantages absolus, énoncée par Adam Smith. En partant du postulat que la théorie ricardienne n’est qu’une renonciation à la pleine puissance économique de la France, l’économie française gagnerait idéalement à se spécialiser dans toute production, pour ensuite exporter ses biens. C’est par l’échange et son ouverture au commerce international que la France s’enrichira. Le « made in France » prôné par l’ancien ministre de l’Économie, du Redressement productif et du Numérique Arnaud Montebourg serait dès lors envisageable et bénéfique. La France a déjà des atouts industriels, comme dans le secteur spatial. In fine, la ré-industrialisation devrait aussi être perçue, non pas comme un frein à leur développement, mais comme une opportunité pour soutenir les activités de service.
Toutefois, rien ne garantira que l’économie française parvienne à réussir une ré-industrialisation totale. Au moins, devra-t-elle tenter de se re-industrialiser dans certains nouveaux domaines, pour l’heure en déclin. L’on pense notamment au secteur de l’automobile, où PSA et Renault seraient déjà en bonne position pour ré-industrialiser leurs sites de production. C’est d’autant plus urgent, car en 2020, la part de la production automobile française au niveau de l’Union européenne (UE) n’a été que de 8%. Mais, si les délocalisations ont été justifiées par le prix trop élevé du travailleur français, d'autres secteurs auront à l’inverse été préservés de la dé-industrialisation, tels que l'aéronautique ou le ferroviaire. À cet égard, l’économiste Élie Cohen parle d’un « colbertisme high-tech », c’est-à-dire la mise en œuvre d’une politique verticale permettant, par exemple, le préfinancement du développement industriel. L’application de ce néo-colbertisme expliquerait le succès des politiques industrielles dans ces secteurs d’activités. Ces politiques économiques auront naturellement été accompagnées de progrès techniques. En effet, selon l’économiste Robert Solow, le progrès technique, incorporé dans le capital, induirait une qualité de travail plus élevée, grâce aux moyens et méthodes de production plus développés et fortement exigeants en termes de qualifications.
Deuxièmement, une ré-industrialisation française devrait susciter l’accueil des potentiels investissements directs à l’étranger (IDE). Ceux-ci contribueraient à générer une dynamique de croissance dans le pays d’accueil, par la hausse de la production et des revenus, par l’accroissement des exportations, ou encore par le développement des technologies et des compétences. En vertu de la loi de Wicksell de 1898, il conviendrait alors de redonner confiance aux investisseurs dans des débouchés pérennes, via notamment des carnets de commande bien remplis. D’autre part, ces IDE devront être directement rentables pour les entreprises. Or, le problème actuel de l'économie française est qu’elle n’est pas suffisamment attractive pour susciter autant d’IDE. En effet, alors que les trois quarts des flux d’IDE sont déjà concentrés dans les pays développés, la France recule régulièrement en termes d’IDE depuis les années 1992 dans le commerce mondial, une situation un temps dissimulée par la croissance de ce commerce.
Face à ce déclin, le salut de la France pourrait provenir d’une amélioration de la qualité de ses institutions publiques. En effet, certains économistes soutiennent l’importance de l’efficacité du secteur public comme déterminant des IDE. En cela, les institutions publiques donneraient une image plus professionnalisante de l'approche industrielle, à destination des entreprises. Concrètement, l’amélioration de la qualité des institutions permettrait une protection efficace des droits civils et des droits de propriété ; le maintien de garanties aux salariés avec un droit du travail protecteur tout en étant flexible ; une grande liberté économique et politique ; une meilleure transparence pour lutter contre la corruption ; la facilité à créer une entreprise ; ou encore, l'efficacité d’une justice et d’une surveillance prudentielle par les institutions publiques. L’ensemble de ces éléments devrait ainsi favoriser une plus grande prospérité de l’économie française. Au demeurant, le développement du marketing des institutions publiques amplifierait l’attractivité française. En retour, il faudra compter sur la capacité des entreprises à pleinement s’organiser et jouer le jeu, afin d’impulser un modèle valorisant de tous les secteurs, qu’ils soient industriels, primaires ou tertiaires.
Certes, la ré-industrialisation pourrait emporter des effets globalement positifs au niveau macroéconomique. Pour autant, il est à prévoir l’accroissement des inégalités économiques entre les divers agents.
2. … mais une ré-industrialisation source d’inégalités pour certains agents économiques
Source de tensions, la ré-industrialisation pourrait susciter des problèmes de redistribution des richesses. Ses bénéfices risquent en effet d’être inégalement répartis entre les agents économiques. Selon le prix Nobel de 2001 Joseph Stiglitz, la distorsion de la répartition de la valeur ajoutée accroîtrait les inégalités de revenus. L’une des raisons du risque de la ré-industrialisation pourrait s’expliquer par le revers du progrès technique. En effet, en vertu de la théorie du déversement sectoriel d’Alfred Sauvy, le déclin du secteur industriel résulterait structurellement des transferts d’emplois d’un secteur d’activité vers un autre, grâce aux gains de productivité induits par le progrès technique. Dans cette approche, l’on pourrait ainsi croire que seul le progrès technique lui-même suffirait à inverser le déclin industriel français.
Or, une ré-industrialisation par le progrès technique pourrait aboutir soit, au mieux, à un taux de chômage d’équilibre via les effets d'hystérèse, théorisés par les économistes Olivier Blanchard et Lawrence Summers en 1986, c’est-à-dire la crainte des employeurs à embaucher malgré une période d’après-crise ; soit à un chômage frictionnel, c’est-à-dire une période « normale » et volontaire du chômage, avant que les travailleurs ne se fassent embaucher, en attendant d’avoir des emplois correspondant à leurs qualifications ; soit, au pire, à la robotisation et à la propagation de l’intelligence artificielle, qui justifieraient l’absence de recrutement de personnel. En effet, les Nations Unies estiment que la population mondiale atteindra près de 8,5 milliards de personnes d’ici 2030, ce qui implique que les robots remplaceront les emplois d’environ 10% de la population future. La ré-industrialisation serait donc bénéfique pour les industries automatisées, mais pas pour les industries de main-d'œuvre.
Les inégalités économiques seront d’autant plus observables au sein même des catégories socioprofessionnelles. En effet, la troisième révolution industrielle nécessitera de nouveaux savoir-faire. La ré-industrialisation sera alors bénéfique pour les cadres, lesquels disposeront des compétences nécessaires pour se faire embaucher rapidement. Tandis qu’en reprenant l’analyse sur le chômage dégagée par l’école de la régulation, avec à sa tête les économistes Robert Boyer et Michel Aglietta, les travailleurs non qualifiés seront remplacés par des robots. Or, le problème actuel est qu'à l’inverse de ses homologues européens, le système scolaire français a tendance à dévaloriser les formations techniques et professionnelles, qui souffrent d’un discrédit persistant. Chaque année, 100 000 jeunes sortent ainsi de l’école sans diplôme, alors qu’une formation professionnelle pourrait constituer leur voie de salut.
De manière plus radicale, Karl Marx aurait pu considérer l’avènement d’une troisième révolution industrielle comme une menace pour les prolétaires. En reprenant la grille de lecture qu’il a utilisée pour analyser la Première révolution industrielle, le passage d’un capitalisme commercial à un capitalisme industriel serait le point de départ marquant l’émergence d’une ère pleinement capitalistique. Plus précisément, l’avènement de nouveaux modes de production capitalistiques conduirait à une concentration des richesses aux mains des « capitalistes ». Dans son Manifeste du parti communiste, Karl Marx formulait le souhait que : « Les prolétaires n’ont rien à perdre que leurs chaînes. Ils ont un monde à gagner. Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! ». Si l’Histoire aura démenti sa prophétie, il reste qu’entre-temps, s’est développé en France le modèle de État-providence. Juste équilibre entre socialisme et libéralisme, ce modèle aurait l’avantage, pour les étatistes, d’agir directement sur l’économie tout en corrigeant ses défaillances, grâce notamment aux systèmes de redistribution de richesse, afin de minimiser les inégalités entre les classes professionnelles.
Face à la concurrence internationale, l’économie française devra tôt ou tard reconsidérer l’hypothèse d’une ré-industrialisation en tant qu’opportunité. Puisque ses effets présentent tout de même des risques, l’enjeu est alors de développer des stratégies efficientes pour mener à bien cette ré-industrialisation.
II. Une nécessité de mener une politique industrielle stratégique impulsée par l’État à l’aune d’une éventuelle ré-industrialisation des autres économies
Si la ré-industrialisation apparaît comme une alternative au déclin généralisé de l’économie française, encore faudrait-il déterminer le degré d’intervention de l’État français (A). Est-il alors plus pertinent d’avoir une faible intervention (1) ou une forte intervention de l’État français dans son économie ? (2) De surcroît, une politique industrielle française n’aurait véritablement de sens sans prise en compte des contraintes internationales (B). Car, si le projet européen propose déjà des pistes pour accompagner les projets industriels (1), l’économie française gagnerait encore plus à adapter sa politique industrielle aux exigences internationales (2).
A. Quel degré d’intervention de la puissance publique dans l’économie française ?
1. Une conception faiblement interventionniste de la ré-industrialisation : une priorité accordée au soutien des entreprises
La conception faiblement interventionniste serait approuvée par les Libéraux. Il s’agirait du grand retour de l’État gendarme théorisé par Max Weber, garant des piliers structurant une économie. Celui-ci ne s’emploierait à créer qu’un cadre propice pour le bon fonctionnement du marché économique. En cela, cette conception faiblement interventionniste correspondrait avec l’opinion dominante des milieux européens, fortement influencée par le discours néolibéral, lequel pousse à la compétitivité à tout prix.
Le faible interventionnisme est justifié notamment chez les Libéraux. D’une part, les prix Nobel de 2004 Finn Kydland et Edward Prescott contestent l’idée d’un État omniscient. En effet, la puissance publique ne saurait gérer à elle-seule toute une économie. L’expérience du passé devrait nous mettre en garde. Tel fut le cas de l’URSS. En effet, la planification à outrance n’a pas eu les effets escomptés. Pour certains adeptes d’une ligne dure du marxisme, les États communistes n’auraient jamais appliqué ni le communisme ni le socialisme, et que leur politique a été plutôt dictée par des principes capitalistes et nationalistes. Une telle analyse se révèle tantôt exacte, tantôt erronée. Le cas de la Chine est révélateur. En 1978, comprenant que la planification sous Mao fut un échec, le Président Deng Xiaoping a libéralisé et ouvert économiquement son pays, sans pour autant renoncer à faire preuve modérément d’interventionnisme dans son économie. À force de volonté, la Chine aura réussi à favoriser l’essor de ses pôles d’activités. Ayant rejoint l’OMC en 2001, la Chine est fréquemment accusée de subventionner massivement ses entreprises en leur accordant ses marchés publics. L’État chinois recourt par ailleurs au dumping, pratique qui consiste à vendre moins cher à l’étranger pour gagner des parts de marché. Dans la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine, les Américains n’ont par exemple pas su empêcher la délocalisation de leurs sous-traitants en Chine. L’on voit que les États sont loin d’être omnipotents, car même en promettant l’adoption de mesures contre le risque de certains excès, rien ne garantit que ces mesures préventives soient bien appliquées par les agents économiques. L’approche libérale dira que les travailleurs français se seront mis volontairement au chômage à court terme, c’est le chômage frictionnel. Alors qu’à long terme, ce chômage résulterait du manque d’investissement dû notamment à la fiscalité. Arthur Laffer disait : « Trop d’impôts tue l’impôt ». Ainsi, en se recentrant sur ses fonctions régaliennes, l’État français devrait œuvrer pour alléger le système fiscal français.
À l’inverse, un faible interventionnisme justifierait que l’Etat français ne s’emploie qu’à investir et soutenir la recherche de certains secteurs d’activités. En reprenant le concept de destruction créatrice théorisée par Joseph Schumpeter, l’État encouragerait les entreprises françaises à innover. Les innovations permettraient alors des périodes d’expansion économique. Pour encourager ce phénomène de destruction créatrice, la puissance publique leur accorderait des aides d’État. Elles devront être notamment accordées à la création des PME et TPE. À la différence des grandes entreprises qui peuvent toujours se développer par d’autres leviers, le management de l’innovation et l’innovation incrémentale sont reconnus comme l’élément majeur de la stratégie de développement des startups. En effet, une PME sera fortement valorisée en répondant à un besoin d’un client, car le développement interne de la structure s’adapte aux besoins nouveaux et continus de la demande.
Ainsi, une faible intervention étatique pourrait se justifier. Et ses apports, non des moindres, seraient globalement bénéfiques. Reste qu’une faible intervention serait encore insuffisante pour réaliser une ré-industrialisation ambitieuse. Il conviendrait alors de préconiser une conception hautement interventionniste pour mener la ré-industrialisation française.
2. Une conception hautement interventionniste de la ré-industrialisation : un encadrement plus rigide et coercitif de l’économie française
« L’ordre social est ce qui nous sépare de la catastrophe ». Éminent juriste de droit public, le professeur Maurice Hauriou préconisait une intervention forte et puissante de l’État, y compris dans la sphère économique. En effet, une conception hautement interventionniste dans l’économie française permettrait l’avènement d’une société égalitaire, vertueuse, et bénéfique pour tous les agents économiques. En plus de l’innovation, l’État français concentrait ses efforts pour réguler les monopoles, et agirait comme donneur d’ordres dans d’autres domaines, comme ceux de l’éducation ou de la santé. Récemment, la crise de la COVID-19 aura d’ailleurs repopularisé les idées keynésiennes. En effet, l’État n’hésite plus à emprunter pour permettre la relance économique du pays. « Entre des milliers de faillites et la dette, nous avons choisi la dette », déclarait ainsi le ministre de l’économie Bruno Le Maire. Cependant, l’économiste Pierre-Noël Giraud alerte sur le choix risqué de contracter une dette irremboursable : « [...] si s’endetter est aujourd’hui très facile, c’est également très dangereux puisque la finance ne vous alerte pas avant qu’il soit trop tard : la rupture est brutale quand elle survient ».
Selon la loi de Wagner, « plus la société se civilise, plus l’État est dispendieux ». En effet, la croissance économique, que devrait engendrer la ré-industrialisation, impliquerait la mise en place de nouvelles productions non délocalisables, à l’instar de l’exploitation des ressources énergétiques ou des infrastructures financées par l’État, des contrôles ou des réglementations. Pour reprendre l’expression de la journaliste Bertille Bayart, « le temps de l’effort de guerre » doit impliquer un volontarisme industriel total de la France pour mener à bien sa ré-industrialisation. D’une part, dans une approche incitative, la conclusion de contrats administratifs entre l’État et les personnes privées devrait être encouragée. En cela, en matière de marché et de commande publique, les carnets de commandes pourront être suffisamment remplis. Par le passé déjà, cette technique juridique a déjà fait ses preuves, par exemple, en permettant la construction d’ouvrages routiers nationaux (TC, 8 juillet 1963, Société entreprise Peyrot). Il revient alors à la puissance publique de garantir les droits du cocontractant, par exemple, en garantissant l’équilibre financier du contrat en assurant l’ensemble prestation-prix, ou encore en assurant le droit à l’équation financière du contrat, c’est-à-dire le contre-balancement des pouvoirs de l’administration par un droit corrélatif à indemnité accordé aux personnes privées. Comme le présageait déjà le Professeur Jean-François Lafaix, dans sa thèse Essai sur le traitement des irrégularités dans les contrats de l’administration de 2007, trop d’irrégularités entachant les contrats de l’administration amènent à leur résiliation anticipée.
D’autre part, dans une approche coercitive, l’État pourrait accompagner la ré-industrialisation par l’application déjà existante de la législation en vigueur. À cet égard, l’administration des douanes françaises applique déjà le droit national, mais surtout le nouveau code des douanes de l’Union (CDU), ainsi que les nombreux accords internationaux, comme ceux de l’OMC. Pour autant, les obstacles à la ré-industrialisation se mesurent au regard de l'évolution du droit douanier en fonction de la mondialisation économique. En effet, la DGDDI se fonde de nos jours sur la réglementation du commerce international. À l’époque où le libéralisme économique a trouvé sa consécration dans les accords qui auront mis en place l’OMC, et où les barrières douanières sont de plus en plus contestées, la justification même des contrôles sur les mouvements internationaux des marchandises n’apparaît plus aussi clairement qu’à l’époque où le droit douanier français constituait l’instrument privilégié de la protection de l’économie française.
L’idée d’un État stratège, hautement interventionniste, apparaît nécessaire pour favoriser la ré-industrialisation de l’économie française. Cependant, une action isolée de l’État français pourrait rapidement se heurter aux contraintes internationales. Pragmatique, la ré-industrialisation semble nécessiter d’accepter au moins quelques coopérations à l’échelle internationale. À cet égard, l’UE pourrait alors contribuer à cette révolution industrielle, en dépit des divergences entre l’Allemagne, qui s’est appuyée principalement sur ses Länder, la Grande-Bretagne, qui a récemment réalisé son Brexit, ou encore d’autres pays de l’UE.
B. Une adaptation nécessaire de la politique industrielle française au regard des contraintes internationales
1. L’enjeu de la clarification d’une politique industrielle européenne
Organisation sui generis en déclin, le retard industriel de l’UE a notamment été mis en lumière par la crise de la COVID-19. Précisément, ses difficultés sont structurelles et historiques. En effet, le projet européen apparaît aux antipodes du modèle de la ré-industrialisation. La ratification du Traité de Rome en 1957 aura permis la réalisation d’une communauté économique européenne. Dans un contexte concurrentiel, elle aura contribué à renforcer la compétitivité de l’industrie européenne. L’instauration d’un marché unique présente de prime abord de nombreux avantages, tels que des économies d’échelle, l’accentuation de la spécialisation dans certains secteurs, une modernisation du tissu industriel, ou encore une concentration des sites de production.
Pour autant, l’expansion d’un marché européen n’est pas une condition sine qua non pour une UE suffisamment compétitive. À la différence des industries du Japon et des États-Unis, l’UE s’est illustrée en agissant de façon désordonnée, et avec des moyens dérisoires en subissant de plein fouet sa dé-industrialisation. En outre, le projet européen reste antonyme à l’idée d’une ré-industrialisation nationale. Source de critiques, ce sentiment eurosceptique est d’autant plus exacerbé par la réussite industrielle et nationale états-unienne et japonaise. En effet, le Japon aura su appliquer avec aisance un modèle en « vol d’oies sauvages », selon la formule de l’économiste Kaname Akamatsu. Selon cette théorie, un pays commence par importer un produit manufacturé, avant de le produire lui-même, puis de l’exporter.
Cependant, l’économiste Sakihito Ozawa nuance l’analyse de Kaname Akamatsu et insiste bien sur le rôle crucial de la puissance publique dans le développement du Japon. En effet, l’État japonais a mis en place une politique protectionniste, afin de protéger les entreprises naissantes. Démantelés au lendemain de la Seconde guerre mondiale, les zaibatsus ont été remplacés par les keiretsus, entretenant des participations croisées entre dirigeants. Si l’on reprend l’analyse de l’économiste Alexander Gerschenkron, dégagée dans son ouvrage Economic Backwardness in Historical Perspective de 1962, les différences d’industrialisation passées des pays européens seraient expliquées par leur degré de retard économique initial. Troisième puissance économique de l'UE, la France occupe alors une place confortable pour amorcer son redémarrage industriel.
Au niveau européen, l’économie française ne devrait ni nier les apports du protectionnisme, ni en faire sa seule solution, de toute façon impossible à mettre en œuvre sous peine de sanctions économiques par l’UE. L’économie française gagnerait alors à adopter une approche résolument collective et à participer à la mise en place d’un « protectionnisme offensif » au niveau continental. Il s’agit d’une théorie de l’économiste Jean-Marcel Jeanneney. Le protectionnisme offensif permettrait d’instaurer des zones commerciales privilégiées où règne le libre-échange, tandis que le protectionnisme s’appliquerait envers le reste du Monde. En l’espèce, avec la production des vaccins européens, l’on peut déjà apercevoir des prémices d’une ré-industrialisation partielle au niveau continental. En cela, la politique industrielle va dans le sens du « projet bonds » que préconisait Michel Barnier, commissaire européen au marché intérieur et aux services, c’est-à-dire le financement des projets industriels en France et au sein de l’UE. Ces mesures industrielles devraient permettre de ne pas se faire distancer par les États-Unis sur les emplois qualifiés, et par les productions à bas coûts des pays émergents. Il reste que la France mériterait de se positionner en leader de cet élan industriel. Surtout, la France pourrait, par la même occasion, ambitionner d’impulser une véritable transition écologique comme projet politique, « vraie voie de salut de l’Europe » selon les termes de la journaliste économique Emmanuel Lemy.
Une ré-industrialisation de l’économie française, inscrite pleinement dans le projet européen, serait une opportunité. Ses effets seraient démultipliés. Mais pour l’heure, le manque d’harmonisation européenne rend cette voie peu probable. À défaut d’une coordination au niveau continental, les coopérations mondiales et multilatérales sont peut-être à consolider.
2. De la nécessité de privilégier une approche coopérative et multilatérale internationale
La ré-industrialisation ne doit pas correspondre à un retour à l’isolationnisme économique. Au contraire, la récente crise de la COVID-19 oblige à repenser la mondialisation pour aider l’économie française à résorber ses difficultés, sans s’isoler pour autant. En effet, jusqu’à l’heure actuelle, les pouvoirs publics se sont montrés incapables de se situer à un niveau adéquat, c’est-à-dire global, et ont privilégié un repli et des solutions à l’échelle nationale.
Cependant, ces solutions court-termistes ont rapidement montré leurs limites. Or, avec des chaînes de production mondialisées, la pénurie des masques et des médicaments peut aussi s’analyser par la fermeture des frontières aux importations et aux exportations de la part des pays producteurs. Aussi, s’il n’est pas question de nier les effets néfastes de la mondialisation, il convient aussi de garder à l’esprit que c’est grâce à elle qu'ont pu être échangées les données sur la COVID-19 entre les centres de recherches du monde entier, ce qui aura permis une efficacité somme toute relative dans la mise au point des vaccins.
En ce cas, la solution serait alors de privilégier une approche coopérative et multilatérale. Elle s’inscrirait dans l'optique d’une « mondialisation heureuse », dotée d’universalisme contre les replis communautaires. Pire, la ré-industrialisation nationale pourrait amener à des élans xénophobes. Dans son article de blog « Mme Le Pen, vous ne taxez pas l’Etranger, mais le pauvre Français… », Francesco de Palma présentait ainsi le risque d’amalgames suscité par les alarmistes. En réponse au programme lepéniste, il écrivait qu’« il existe des emplois en France, qui sont actuellement occupés par des étrangers, notamment du fait que ces emplois ne sont pas toujours acceptés par les Français [...] ». L’approche multilatérale de la ré-industrialisation ne se fonde pas sur la seule identité nationale, mais bien sur une perspective universaliste, et surtout, durable pour l’ensemble de la population. C’est ainsi que la composition de groupes de travail autour de Joe Biden, Henry Kissinger, Tony Blair ou encore Bernard Arnault, illustre une volonté de mieux coopérer, et plus efficacement, entre nations. L’enjeu est donc de développer des approches « gagnant-gagnant » face à des problèmes communs. Pour ce faire, l’économiste Jacques Attali avait préconisé la mise en place de « mécanismes de prévention et de contrôle, et des processus logistiques de distribution équitable de médicaments et vaccins ». Et, si le mot protectionnisme ne doit plus être un « gros mot », l’ancien directeur de l’OMC, Pascal Lamy, préconise toutefois que l’on raisonne en termes de « précautionnisme ». Dans ce cas, ce ne sont plus les entreprises qui doivent être protégées avec des normes douanières contre la concurrence internationale, mais les citoyens et les consommateurs contre les risques divers. Standards et normes de qualité devront ainsi remplacer les tarifs douaniers.
Pour l’heure, et c’est la thèse que nous défendons, il est préférable de privilégier le respect des traités internationaux en vigueur. Surtout, des mécanismes de sanction internationaux existent. Du moins, c’est ce que devrait permettre le système de l’OMC, mise en évidence par la thèse du Professeur Andrea Hamann Le contentieux de la mise en conformité dans le règlement des différends de l’OMC parue en 2012. Pour autant, ce mécanisme juridictionnel de sanction peine encore à s'appliquer. Il est à espérer que la récente nomination de Ngozi Okonjo-Iweala, à l’aune de la crise de la COVID-19, permettra un véritable rétablissement de règles du jeu équitable entre les nations, sans qu’elles n’enfreignent systématiquement les accords de libre-échange, comme le fait actuellement la Chine. Avec une participation active de la France, le renforcement des mécanismes juridictionnels internationaux devrait donner à son économie un cadre en vue de réaliser sa ré-industrialisation dans les règles de l’art.
En définitive, le choix d’une ré-industrialisation mériterait d’être avancé avec prudence, en vue d’éviter les erreurs du passé. Karl Marx disait bien que : « Celui qui ne connaît pas l’histoire est condamné à la revivre ». Il est vrai que la dé-industrialisation apparaît inéluctable dans les années 1970, et elle aura mis en lumière les limites de la mondialisation économique. Aujourd’hui, et à juste titre, une ré-industrialisation partielle de l’économie française serait louable. Mais, elle ne saurait être que partielle. En effet, une ré-industrialisation, mal maîtrisée ou trop radicale, ce qui a déjà pu s’observer par le passé pour l’URSS ou à Sérébou par exemple, ou trop radicale, pourrait aussi entraîner des conséquences tout aussi dramatiques à long terme.
La question de la ré-industrialisation aura surtout eu le mérite d’obliger les nations à repenser leurs
économies. Il serait alors louable que les projets de ré-industrialisation se réalisent, non pas que par un seul prisme
national, mais dans une perspective mondialisée des échanges commerciaux. Aucun projet industriel réellement
sérieux n’est envisageable aussi longtemps que l’interdépendance macroéconomique des économies ne sera pas
gérée soit de manière centralisée par une instance supranationale, ou au moins impulsée par une entité fédérale,
comme à l’allemande. En cela, l’impulsion donnée par l’OMC, avec la récente nomination de Ngozi Okonjo-Iweala
à sa tête, pourrait dès lors ouvrir de nouvelles perspectives économiques.