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Commentaire de l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) du 20 janvier 2022, D.M. et N. c/ Italie

L'arrêt du 20 janvier 2022 rendu par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) dans l'affaire D.M. et N. c/ Italie concerne une question délicate en droit de la famille : la protection des droits des enfants dans le cadre de l’adoption et du lien familial. Cet arrêt soulève des enjeux importants concernant les droits des parents biologiques, l’intérêt supérieur de l’enfant, ainsi que le respect de la vie familiale, principes garantis par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Les faits

Dans cette affaire, les requérants, D.M. et N., sont des parents biologiques d'un enfant placé en famille d’accueil. Après un placement prolongé, l’enfant avait établi des liens affectifs forts avec ses parents adoptifs. Les autorités italiennes avaient pris la décision de mettre en œuvre une procédure d’adoption plénière, privant ainsi les parents biologiques de toute autorité parentale sur l’enfant, ce qui a conduit à un conflit juridique entre ces derniers et les autorités italiennes.

Les parents biologiques ont saisi la Cour européenne des droits de l'homme, arguant que l’adoption plénière violait leur droit à la vie familiale garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, en particulier en ce qui concerne leur droit de maintenir des liens avec leur enfant.

La procédure

L’affaire a été portée devant la CEDH après que les tribunaux italiens ont rejeté les recours des parents biologiques, validant la procédure d’adoption et la rupture du lien juridique entre les parents et l’enfant.

Les requérants soutiennent que cette adoption allait à l’encontre de leur droit à la vie familiale et que la procédure d’adoption n’avait pas respecté les principes de proportionnalité et de nécessité.

La décision de la Cour

La Cour européenne des droits de l'homme a jugé que l’Italie avait violé l’article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui garantit le droit au respect de la vie familiale et de la vie privée. La Cour a estimé que la décision des autorités italiennes de procéder à l’adoption plénière avait porté atteinte à l’équilibre entre la nécessité de protéger l’enfant et les droits des parents biologiques.

Elle a rappelé que la notion de vie familiale, au sens de l’article 8, n’est pas limitée aux relations biologiques, mais inclut également les liens affectifs qui peuvent exister entre un enfant et ses parents biologiques. La Cour a souligné l’importance de maintenir les liens familiaux dans la mesure du possible, même lorsque l’enfant a été placé dans une famille d’accueil et qu’il a créé des liens affectifs avec ses parents adoptifs.

En l’espèce, la Cour a estimé que les autorités italiennes n’avaient pas suffisamment pris en compte l’intérêt supérieur de l’enfant ni le respect du droit des parents biologiques de maintenir un lien avec leur enfant. En outre, la Cour a souligné que les autorités italiennes n’avaient pas exploré de manière adéquate les possibilités de maintenir une forme de relation, même indirecte, entre l’enfant et ses parents biologiques avant de prendre la décision radicale de procéder à une adoption.

Les arguments des parties

  • Les requérants (D.M. et N.) : Les parents biologiques soutiennent que leur droit à la vie familiale a été violé par la décision d’adoption, estimant qu’ils avaient droit à maintenir un lien avec leur enfant, même s’il avait été placé en famille d’accueil depuis sa naissance. Ils font valoir que les autorités italiennes n’ont pas pris en compte leurs droits parentaux de manière suffisante.
  • L’Italie : Les autorités italiennes ont défendu la procédure d’adoption en soulignant que l’intérêt supérieur de l’enfant devait primer, et que l’adoption offrait à l’enfant la stabilité et la sécurité nécessaires, dans un environnement familial favorable à son développement. Elles ont également souligné que les parents biologiques avaient été dans l’incapacité d’entretenir une relation avec l’enfant.

Analyse de la décision

La décision de la CEDH repose sur une interprétation stricte de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui protège la vie familiale. La Cour a rappelé que le droit à la vie familiale n’est pas absolu et qu’il peut être limité, mais de manière proportionnée et justifiée par l’intérêt supérieur de l’enfant. Cependant, elle a insisté sur le fait que l'adoption ne devrait intervenir qu'en dernier recours, après avoir pleinement exploré toutes les alternatives permettant de maintenir une relation avec les parents biologiques.

La Cour a également souligné que la procédure d'adoption doit respecter l'équilibre entre les droits des parents biologiques et les droits de l’enfant, en prenant en compte non seulement les besoins affectifs de l’enfant, mais aussi son droit de maintenir des liens avec sa famille d’origine dans la mesure du possible.

Problématiques juridiques soulevées

Cet arrêt soulève plusieurs questions importantes :

  • L'équilibre entre les droits des parents biologiques et l’intérêt supérieur de l’enfant : Comment concilier les droits des parents à maintenir une relation avec leur enfant et le droit de l’enfant à une stabilité familiale ? La Cour a ici rappelé l’importance de protéger les liens familiaux, même en cas de placement prolongé.
  • La notion de "vie familiale" : La CEDH insiste sur le fait que les liens affectifs sont aussi importants que les liens biologiques. Cela implique une relecture plus large du droit à la vie familiale et soulève des questions sur la place du lien affectif dans les décisions juridiques relatives à l’adoption.

Critique et ouverture

La décision de la Cour semble raisonnable dans la mesure où elle protège les droits des parents biologiques tout en rappelant que l’intérêt de l’enfant doit être pris en compte de manière prioritaire. Cependant, on peut se demander si cette décision ne complique pas la mise en place de procédures d’adoption qui, dans certains cas, peuvent être essentielles pour garantir l’épanouissement de l’enfant.

Ce cas pourrait conduire à une révision des pratiques juridiques concernant l’adoption en Europe, en insistant davantage sur le droit des parents biologiques à maintenir des liens, mais aussi sur la nécessité de bien définir l'intérêt supérieur de l'enfant dans chaque situation concrète.


La CEDH, dans cet arrêt, rappelle l’importance de protéger les droits des parents biologiques tout en tenant compte des besoins affectifs et de développement de l’enfant. Elle envoie un message fort sur la nécessité d’une approche équilibrée, respectueuse des droits de toutes les parties impliquées, mais aussi soucieuse de l’intérêt supérieur de l’enfant.


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